Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors]

incapable de plier & de changer d'a vis, aigriroit de nouveau le Peuple par la fierté de fes réponses. Il ne fut pas trompé dans fes efpérances; car bien loin que Coriolan s'avouât coupable, ou qu'il tâchât d'adoucir le Peuple comme avoit fait Minucius, il ruina au contraire l'effet du difcours de ce Conful par une fermeté à contre-tems, & par la dureté de fes expreffions. Il fe déchaîna avec plus de force qu'il n'avoit encore fait, contre les entreprifes des Tribuns ; & il déclara nettement que le Peuple n'avoit aucune autorité légitime pour pouvoir juger un Sénateur; mais que fi quelqu'un fe trouvoit offenfé de l'avis qu'il avoit ouvert dans le Sénat, il le pouvoit citer devant les Confuls & les Sénateurs, qu'il reconnoiffoit pour fes Juges naturels, & devant lefquels il feroit toujours prêt de rendre compte de fa conduite.

Les jeunes Sénateurs, charmés de l'intrépidité qu'il faifoit paroître, & ravis qu'il fe trouvât quelqu'un qui osât dire tout haut ce qu'ils penfoient tous, s'écrierent qu'il n'avoit rien avancé qui ne fût conforme aux Loix: mais le Peuple,qui fe croyoit méprifé,

[ocr errors]

réfolut de lui faire fentir fon pouvoir. On lui fit fon procès fur le champ comme à un rebelle, & à un Citoyen qui refufoit de reconnoître l'autorité du Peuple Romain. Sicinius, après avoir conféré en fecret avec fes Collégues, fans daigner même recueillir les fuffrages de l'Affemblée, prononça contre lui une fentence de mort; & il ordonna qu'on le précipitât du haut de la Roche Tarpeienne : fupplice dont on puniffoit les ennemis de la Patrie..

D. H. 1. 7.

Les Ediles, miniftres ordinaires de toutes les violences des Tribuns, s'avancerent pour se faifir de fa perfonfe ne; mais le Sénat, & tout ce qu'il y Plut. in Cor. avoit de Patriciens dans l'Affemblée, accoururent à fon fecours. Ils le mirent au milieu d'eux, & s'étant fait des armes des premiers objets que l'indignation & la colere leur préfentoient, ils paroiffoient réfolus d'oppofer la force à la violence.

Le Peuple, qui craint toujours quand on ne le craint point, refufa fon fecours aux Ediles, & demeura comme en fufpens, foit qu'il n'osât attaquer un gros où il voyoit fes Magiftrats & fes Capitaines, foit qu'il

trouvât que fes Tribuns euffent pouffé l'animofité trop loin, en condamnant un Citoyen à mort pour de fimples paroles. Sicinius, qui craignoit que Coriolan ne lui échappât, fit approcher Brutus, fon confeil & fon oracle, auffi féditieux, mais moins emporté, & qui avoit des vues plus étendues. Il lui demanda fecrettement fon avis fur l'irréfolution du Peuple qui déconcertoit tous fes deffeins.

fe

Brutus lui dit qu'il ne devoit pas flater de pouvoir faire périr Coriolan, tant qu'il feroit environné de toute la Nobleffe qui lui fervoit de gardes; qu'on murmuroit même dans l'Affemblée de ce qu'il vouloit être en même tems Juge & Partie; que le Peuple, qui paffe en un inftant de la colere la plus violente à des fentimens de compaffion, avoit trouvé trop de rigueur dans la condamnation de mort; que dans la difpofition, où il voyoit les efprits, il ne réuffiroit pas affurément par les voies de fait, mais que fous le prétexte toujours spécieux de ne vouloir rien faire que dans les formes, il devoit exiger du Sénat que Coriolan ne pût être jugé par l'Affemblée du Peuple, & fur-tout qu'il fa

que

loit obtenir,à quelque prix que ce fût, l'Affemblée feroit convoquée par Tribus, où les Grands & les plus riches étoient confondus avec les plus pauvres ; au lieu que fi on recueilloit les fuffrages par Centuries, il étoit à craindre que les Citoyens riches, qui feuls en compofoient le plus grand nombre, ne fauvaffent Coriolan.

"

[ocr errors]

Sicinius s'étant détérminé à fuivre cet avis, fit figne au Peuple qu'il vouloit parler, & après qu'on lui eut donné audience : » Vous voyez, Ro» mains, leur dit-il, qu'il ne tient pas » aux Patriciens qu'on ne répande aujourd'hui beaucoup de fang,& qu'ils font prêts d'en venir aux mains, » pour fouftraire à la Juftice l'enne» mi déclaré du Peuple Romain. Mais », nous leur devons de meilleurs exemples, nous ne ferons rien avec précipitation. Quoique le criminel foit affez convaincu par fon propre aveu, » nous voulons bien lui donner en» core du tems pour préparer fes dé» fenfes. Nous t'ajournons, dit-il, en » s'adreffant à Coriolan, à comparoî» tre devant le Peuple dans vingt-fept »jours. A l'égard de la diftribution des grains, i le Sénat n'en prend

[ocr errors]

دو

» pas le foin qu'il doit, les Tribuns y » donneront ordre eux-mêmes; & là» dessus il congédia l’Assemblée «.

Le Sénat pendant cet intervalle, pour fe rendre le Peuple favorable, fixa la vente des grains au plus bas prix qu'ils euffent été même avant la fédition, & les Confuls entrerent en conférence avec les Tribuns fur l'affaire de Coriolan, dans la vue de les adoucir, & de réduire ces Magistrats populaires à fe conformer aux anciennes regles du Gouvernement. Minucius qui portoit la parole, leur repréfenta que depuis la fondation de Rome, on avoit toujours rendu ce refpect au Sénat, de ne renvoyer aucune affaire au jugement du Peuple, que par un Sénatus- Confulte; que les Rois mêmes avoient eu cette déférence pour un Corps fi augufte; qu'il les exhortoit à fe conformer aux ufages de leurs ancêtres. Mais que, s'ils avoient des griefs confidérables à proposer contre Coriolan, ils s'adreffaffent au Sénat, qui leur feroit juftice, & qui fur la nature du crime & la folidité des preuves, le renvoyeroit par un Sénatus - Confulte au jugement du Peuple, qui pour lors feulement feroit

[ocr errors]
« AnteriorContinuar »