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elle n'avoit pas cinq ans ; vous ne l'avez pas vue une seule fois depuis ce moment; vous aimiez cependant sa mère. - Oh! oui je l'aimois, a-t-il répondu avec attendrissement; puis, après un moment de silence: Madame, je vous aime aussi, reprit-il, et bien plus qu'il ne me convient de vous le dire; n'ayez plus rien à me reprocher; je vous donne mademoiselle de L**

si vous en êtes contente, et sur-tout si elle vous aime, mon cœur se rouvrira pour elle. Touchée de cette scène, et de la complaisance de M. de L***: je l'embrassai plus tendrement que je n'avois encore fait, et vous n'en serez pas jaloux, trop aimé comte; c'étoit mon père que je caressois, et que je plaignois de n'avoir remplacé que par une fille, une femme charmante dont il étoit adoré. Je vais redoubler d'égards et de soins pour lui. Je m'occupe avec plaisir de faire préparer un appartement à ma belle-fille auprès de moi.

Je lui fais le sacrifice de ma première femme dont le service me plaît fort, parce que je ne serai pas inquiète de la laisser seule avec elle. La jeune personne ne sait rien encore de cet arrangement, je compte aller incessamment l'en instruire. Voilà-t-il des détails aujourd'hui, cher comte? ils ne me laissent plus le tems de vous dire tout ce que vous ne savez que trop.

VIII. LETTRE.

8 Novembre 1674.

Nous avons fait, cher comte, un Voyage de quinze jours à Chantilly; je le connoissois à peine, et je le trouve encore au dessus de sa réputation. Nous y avons été bien reçus et bien traités, et nous y avons eu très-bonne et trèsbrillante compagnie. J'y ai laissé M. de L*** qu'on a pressé d'y rester le

mois.

mois. Dans le même tems vous reveniez de tous vos voyages; vous avez été voir d'abord vos cousins Grignan, et vous avez approché cette divinité, si vantée à droite, si critiquée à gauche: je crois que vous l'avez parfaitement jugée; premièrement, parce que vous êtes excellent juge, et que peu de choses échappent à votre coup-d'œil; de plus, parce que je trouve un caractère dans la peinture que vous m'en faites, qui m'en atteste la vérité. Ce portrait est fini; je la reconnoîtrois à la première vue, j'en suis sûre, et je crois que je serois accessible au courage que vous dites qu'il faut avoir pour l'aimer. Madame sa mère, bien plus faite pour les succès, a manqué jusqu'ici ma conquête: il ne faut faire cet aveu qu'avec discrétion; on passeroit pour être bi

zarre.

Je suis à Paris du 5. J'ai trouvé lè petit appartement de ma belle-fille joli et commode; elle a une assez grande

B

chambre à coucher, un cabinet pour faire ses exercices, et une petite garde-robe; tout cela formé de cette salle de billard entre le sallon et le derrière de mon appartement. M. de L*** m'en a fait le sacrifice; et je ne vois rien de plus inutile à Paris qu'un billard. Je fus le lendemain de mon arrivée à Sainte-Marie; j'annonçai à ma belle-fille qu'elle alloit venir passer trois mois avec moi; elle en eut un saisissement de joie qui la rendit près d'un quart d'heure immobile; ensuite, revenant à elle : Mon pere abandonné, dit-elle en sanglotant, mais le Seigneur a pris soin de moi; il me redonne une mère. Gardez-vous, mon enfant, lui dis-je, de penser que M. votre père vous ait abandonné. Il me déteste, continua-t-elle en redoublant ses pleurs; eh! que lui ai-je donc fait? Je n'avois pas cinq ans lorsqu'on m'a mise ici; jamais depuis je n'ai vu son visage; à peine en ai-je le souvenir,

m'a

Avez-vous manqué de la moindre chose? lui demandai-je. Oh! non, me dit-elle; je suis une des plus riches entre mes compagnes; mais c'est vous, maman, qui me donnez tout. Vous vous trompez, lui répondis-je, je n'ai moi-même que ce que M. votre père veut bien me donner. Eh bien, repartit-elle, vous partagez donc ce qu'il vous donne avec moi. Non, lui dis-je, vous tenez tout de ses bontés, qui vont augmenter si vous vous en rendez digne. Ah! ma chère maman, repritelle, je ferai tous mes efforts pour vous plaire. Ecoutez, lui dis-je, ne vous attendez pas à beaucoup de distractions; votre âge ne vous permet pas de paroître dans le monde ; vous ne mangerez avec moi que lorsque je serai presque seule. Je vous consacrerai trois heures dans la journée; tâchez de trouver vos plaisirs dans vos occupations; on les variera pour ne vous en pas dégoûter. Je vous chercherai quel

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