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peine. Elle acquiert de jour en jour de la grâce; elle est pleine de bonne volonté et d'intelligence; il faut plutôt la retenir que l'exciter. Je lui ai donné depuis peu un fort bon maître de danse, qui a été réellement surpris du point où je fai mise en si peu de tems. Je lui ai donné aussi un répétiteur de musique, qui ne lui enseigne qu'à la lire, sans chanter; car c'est moi qui suis la grande maîtresse. Je crois qu'elle aura la voix jolie, quand elle saura la conduire : la psalmodie de nos sœurs de la Visitation ne dispose pas au goût de la mélodie. Enfin je suis fort contente de mademoiselle de L***, de son extérieur, de son cœur, et de son esprit. M. son père est toujours froid avec elle; ce qu'elle sent vivement, sans s'en plaindre à d'autres qu'à moi. Je m'occupe d'elle autant qu'il m'est possible; je la prêche peu, me souvenant bien que les sermons m'étoient insupportables à son âge. Je lui donne

beaucoup de liberté avec moi; et si je l'improuve souvent, je ne la gronde jamais. Il faut que vous me passiez d'être d'une autre opinion que vous sur l'utilité de la faire lire; je ne cherche pas même encore à lui en inspirer le goût. Ditesmoi, je vous prie, que pourroit-elle lire, qui ne fût ou trop frivole ou trop sérieux? Je lui apprends ce que je sais, en causant avec elle. Je conviens qu'il y a beaucoup de livres qui pourroient l'amuser et l'instruire; mais presque tous sont en vieux style; elle les lira. quand elle saura bien sa langue; et c'est de quoi je m'occupe en l'apprenant moi-même avec elle, étant bien loin de me croire habile en cette science, qui me paroît fort difficile et fort étendue. 'Au reste je lui fais voir beaucoup. de choses dont on jouit communément avec ignorance. Elle sait comment la. toile se prépare et se fait; comment on travaille différentes étoffes; comment on imprime, etc. etc. etc. Elle.

apprend la musique, le clavecin, la danse; on la perfectionne dans l'écriture et l'arithmétique: n'en est-ce pas assez pour le présent? Vos enfans sont fort bien avec elle, le chevalier surtout: il a cependant moins de complaisance que son frère, mais il a plus de gaieté. Adieu, cher comte; vous ne sa- · vez pas qu'il est deux heures du matin.

XIV. LETTRE.

10 Février 1675.

O N fait bruit de peu de chose, mon cher Adolphe; si j'avois pensé avoir eu des succès à Versailles, je vous en aurois certainement fait part. Tous les beaux complimens qu'on vous a mandé que le roi m'avoit faits, se bornent à m'avoir dit : Vous êtes bien coîffée, madame; je ne vois point de femmes de votre âge qui se mettent avec autant

de décence et de goût. Je crois que ce fut à la marquise de la Ferté, qui étoit auprès de moi, coiffée comme une folle et vêtue comme une sorcière, que je dus cette galanterie; car,

que le jeu dura, les yeux du roi nous fixèrent alternativement. Le jeu fini, m'étant trouvé près de lui : Madame, me dit-il, on vous donne déja une fille de douze ans. Je la reçois, Sire, lui répondis-je. Il sourit, et fut parler bas à madame de Montespan. On dit, mais je n'en vis rien, qu'elle me regardoit avec aigreur.

Je suis ravi, cher comte, de votre liaison avec M. de Vence. Sent-il bien le prix de son bonheur? Beaucoup de gens, qui ont du mérite d'ailleurs, manquent de celui qu'il faut pour bien apprécier et goûter de certains amis. Vous n'en êtes pas un ordinaire, mon cher Adolphe : c'est ce que M. de L*** et moi disons souvent : c'est aussi ce

que sent très-bien la marquise de

Montmorency, qui me fait la grâce de me regarder comme son amie, malgré la distance de nos âges.

Je n'ai rien de neuf à vous dire de ma belle-fille : on me permet de la garder jusqu'au carême. J'ai quelques soupçons de grossesse dont je ne parle qu'à vous; je ne veux pas donner une fausse joie à M. de L***. Vos enfans se portent à merveille; ils viennent d'avoir la rougeole. C'est nous qui avons empêché l'abbé de vous en rien dire; c'eût été vous donner de l'inquiétude gratuitement. Je les ai vus cinq ou six fois pendant leur maladie; ils ont été conduits parfaitement. L'aîné s'est levé avec un pouce de plus; le chevalier n'a pas acquis une ligne. A qui donc écrivez-vous ? me demande made

moiselle de L*** qui entre dans mon cabinet. - Ma fille, c'est à un homme que M. votre père et moi aimons beaucoup. Il est donc bien aimable, me

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répond-elle; dites-lui, je vous prie,

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