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n'aspire-t-il pas à rentrer dans celui qu'il a possédé, goûté, senti! Ne nous laissons donc point abattre, mon cher comte, espérons que la fortune nous réunira plus tôt que les circonstances actuelles ne semblent nous le promettre. M. de L*** est, après moi, la personne qui vous regrette le plus; il entre dans ma douleur, et me parle de vous pour mon plaisir et pour le sien. Combien ne vous estimeroit-il pas encore davantage, s'il connoissoit votre généreux désintéressement! Mais il doit vous suffire que mon cœur le reconnoisse et le sente; et il le reconnoît et le sent plus peut-être qu'il ne vous est possible de le concevoir.

J'en demeure là pour aller au couvent de ma belle-fille, qui s'est éveillée ce matin avec une assez grosse fièvre, ce qui m'inquiète; vous savez que j'ai du penchant pour elle. La mienne se porte bien. Adieu, trop cher et trop

aimé comte; ménagez votre santé, c'est le plus précieux de mes biens.

II. LETTRE.

20 Juin 1674.

EST-CE donc à moi, cher Adolphe, à vous donner du courage? L'excès de votre douleur me fait perdre le mien. Nous sommes séparés; je ne sens que trop vivement ce malheur; mais sommes-nous perdus l'un pour l'autre? Nous en aimons-nous moins? En sommesnous moins tendrement occupés de nos intérêts mutuels? Nos ames ne communiquent-elles pas ensemble journellement? car l'ame franchit toutes les distances. Pour moi, je vous parle sans cesse, et il me semble que vous me répondez. Je connois si parfaitement votre esprit, votre goût, vos plus secrettes pensées, que je dis sans me

tromper il improuveroit ceci, il approuveroit cela. Tous vos intérêts vous appeloient où vous êtes; pliez-vous donc à la nécessité; occupez-vous de vos devoirs; voyez du monde; cherchez de la distraction, si votre cœur se refuse à l'amusement. Vos enfans sont venus dîner avec nous hier; je les enverrai chercher toutes les semaines; je les aime pour vous et pour eux. Ils sont aimables dans un genre différent. M. de L*** s'en est fort occupé ; le chevalier lui plaît de préférence. Je vous quittai l'autre jour pour à Sainte-Marie voir ma belle-fille qui avoit la fièvre; sa maladie étoit la rougeole je la crois hors d'affaire. Madame de Bussy lui donne les plus grands soins. Voilà donc mademoiselle Darquien reine de Pologne. Madame de Scudery dit que la marquise Dépoisse en mourra de joie. L'armée navale des

* Tante de mademoiselle Darquien.

aller

Hollandois alarme tous nos ports. Ce m'est une grande consolation de vous voir occupé d'une manière qui vous est utile sans vous faire courir de danger. Je n'ai vu presque personne depuis votre départ. Mon cœur a besoin de solitude; cependant il faut se rapprocher du monde pour plaire à M. de L***. qui l'aime, et qui commence à n'être plus d'âge à l'aller chercher; Vous savez combien je lui dois d'égards et de reconnoissance.

Nous aurons demain un grand diner; madame de Pisieux en sera, non pas assurément pour mon compte; c'est un mérite que je reconnois, mais que je ne goûte pas. Nous aurons aussi madame de Scudery, dont je m'accomoderois mieux, sans ses vapeurs, ses langueurs, ses infortunes: quand elle oublie tout cela, son esprit, quoi que vous en disiez, est assez aimable-; elle est en commerce réglé avec M. de Bussy, qu'elle connoissoit peu, et dont elle

raffole: c'est une mode que d'écrire à cet illustre exilé, et une gloire de recevoir de ses lettres; on se rassemble pour les lire. J'en connois quelquesunes; elles sont bien écrites, spirituelles, vaines sur-tout. Sa fille, qui est religieuse à Sainte-Marie, est parfaitement aimable; j'ai peine à quitter la grille quand je suis avec elle : je vous ai déja dit cela sûrement ; qu'importe? nous ne nous ennuyons pas de nos rabachages.

On ne parle que de la beauté et des saintes joies de madame de la Valière. Le roi fut triste le jour qu'elle prit l'habit. Que les hommes sont inconstans! J'en excepte mon Adolphe, qui depuis cinq ans m'aime avec autant de vivacité, de désintéressement, de dé licatesse, et qui est bien parfaitement payé de tous ses sentimens.

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