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interrompit Arifte fi vous vous

étiez rencontré comme moi dans un naufrage, je fuis fûr que, de Phumeur dont vous êtes Vous ne trouveriez pas la mer fort belle dans fa colere; ou du moins vous en trouveriez le portrait plus beau que l'original. Il faut après tout que vous confeffiez, pourfuivit-il, qu'il a fallu être bien hardi, pour s'expofer la premiere fois à un fi furieux élément. Je l'avoue, dit Eu

gene, & je fuis même d'avis que, fans nous piquer mal à propos de hardiesse > nous nous contentions de voir de loin les tempêtes. Peutêtre que la mer courroucée fera encore plus belle dans l'éloignement & en perfpective joint qu'on n'a pas, ce me femble, l'efprit affez libre au fort de l'orage, pour bien remarquer ce qu'elle a de beau dans fa fureur ; &, fi je ne me trompe, on a un peu trop d'affaires, quand on craint à tous momens de périr, pour prendre ce divertiffement à fon aife.

Comme ils s'entretenoient de la

و

forre ils › aperçurent un grand vaiffeau qui ne faifoit que de fortir du port, & qui cingloit à pleines voiles en haute mer. Ils s'arrêterent quelque temps à le regarder; & lorfqu'il commença à s'éloigner Arifte reprit auffi-tôt la parole. Sans cet homme audacieux, qui s'abandonna le premier à la merci des flots, & qui ne craignit ni les tempêtes, ni les écueils, ni les monftres de la mer; fans cet Illi robur & homme, dis-je, à qui Horace donæs triplex Circa pecus ne un cœur de bronze, on n'auerat,qui fra roit pas la commodité de faire de gilem truci longs voyages en peu de temps, & pelago ra d'aller aux extrémités de la terre Horat. lib. 1. par des chemins fi courts, qu'à la mefurer par là, elle ne paroît pas bien grande. C'eft à l'heureufe témérité de cet homme intrépide que nous fommes redevables des avantages qui nous reviennent du commerce des mers : c'est lui qui par fon exemple a encouragé ceux qui l'ont fuivi, à aller découvrir

Commifit

tem.

Od. 3.

au travers de mille dangers des terres autrefois inconnues: c'est par cet art qu'il a inventé, & que les autres ont perfectionné, qu'on a trouvé le fecret de réunir ce que la nature a féparé par des efpaces infinis. Car la navigation fait aujourd'hui la liaifon de tous les peuples les mêmes eaux, qui divifent le monde nouveau de l'ancien, fervent à la communication de l'un & de l'autre, depuis que l'avarice a rendu les hommes affez habiles pour gouverner un navire parmi les plus horribles tempêtes, & affez hardis pour méprifer tout ce que la mort a d'affreux dans un naufrage.

Pour moi, dit Eugene en riant, quelques biens que la navigation

nous apporte, je ne trouve pas Satis non fort bon qu'un homme ait appris fuit hominé aux autres à fe brifer contre les ro- mori, nili chers, à mourir fans fépulture, & infepultus. periret & à chercher une nouvelle efpece de mort fur la mer, comme s'il n'y en avoit pas affez fur la terre. Si vous me croyez, continua-t-il, nous ne

Plin. hift. nat.

lib.19.proam.

Non eft

meum,

nous expoferons point à ces dangerslà ; & quoique les coquilles que la mer jette fur le rivage ne foient cellis ad pas fi précieufes que les perles qu'elle

mugiat Africis

Malus pro

miferas preces Decurrere,

& votis

pacifci, Ne Cypria

renferme dans fon fein, nous nous contenterons de nous promener le long de fes côtes; auffi-bien l'état de notre fortune n'a pas befoin des tréfors du nouveau monde; & apAddant ava- paremment notre intérêt particulier ro divitias ne nous fera jamais faire de vœux Hor. epod. 2. pour les navires qui viennent des Indes.

Tyriæque

merces

mari.

Eugene ayant achevé ces paroles, Arifte & lui s'amuferent quelque temps à ramaffer des coquilles, ne jugeant pas que le divertiffement de Scipion & de Lelius fût indigne d'eux. Ces coquilles qui parent fi bien le bord de la mer, & où l'on voit une variété infinie de figures & de couleurs, dit Arifte, ne font-ce pas des productions de la nature fort jolies & fott bizarres ? S'il en faut croire genus, & in l'homme du monde qui a le plus étu

Concharum

is mira na

ura ludentis dié la nature, repliqua Eugene, il

n'y a rien où elle fe joue, ni où elle varietas. s'égaye davantage.

Ne diriez-vous pas, reprit Arifte, que ce font des ouvrages de l'art, tant elles font régulierement travaillées ? Je dirois prefque avec un Poëte Italien, répondit Eugene, que la nature, pour fe divertir, imite quelquefois celui qui fait toujours gloire de l'imiter.

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Di natura arte par, che per diletto L'imitatrice fua fcherzando imiti. Mais que dites-vous, poursuivit Arifte, quand vous voyez que la mer apporte ces bagatelles fur le rivage avec tant de pompe & tant de bruit elle qui cache une infinité de richeffes dans fes abîmes ? Je me fouviens, dit Eugene, de ces avares qui veulent faire les magnifiques, & qui donnent avec profufion de petites chofes; tandis qu'ils gardent avec beaucoup de foin ce qu'ils ont de plus précieux.

Alors Eugene & Arifte s'étant

Plin.hift, nat lib. 9. c. 33.

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