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affis auprès des dunes pour confr dérer la mer qui fe retiroit doucement, & qui laiffoit fur le fable en fe retirant la trace & la figure de fés ondes, avec de l'écume, du gravier, & des coquilles; ils furent quelque temps à rêver l'un & l'autre, fans fe dire prefque rien : & leur converfation auroit peut-être langui plus long-temps, fi Eugene ne l'eût réveillée en demandant brufquement à fon ami quel étoit le fujer de la rêverie.

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Peut-on voir ces flots retourner au terme d'où ils font venus, répondit Arifte, fans fonger à la caufe d'un fi admirable mouvement & Mais c'eft en vain que j'y fonge, ajouta-t-il comme je ne fuis point philofophe, je n'y comprends rien. Quand vous feriez auffi philofophe qu'Ariftote, dit Eugene, vous ne feriez pas plus éclairé que vous êtes. Ne fçavez-vous pas ce que difent quelques-uns de ce Génie de la nature, que n'ayant pû com-. prendre le flux & le reflux, après

ane méditation profonde, il fe précipita dans l'Euripe; comme pour nous apprendre par fa mort que cette queftion étoit l'écueil de la Philofophie, & l'abîme où fe perd l'efprit humain. On n'a pas laiffé de raifonner beaucoup fur le flux & le reflux depuis la mort d'Ariftote, repartit Arifte; & je meurs d'envie de fçavoir ce que les Sçavans en ont dit, quand ce ne feroit que pour m'en divertir; car ils ont coutume de dire de plaifantes chofes fur les matieres qu'ils n'entendent pas. Mais, avec toute ma curiofité, j'ai bien la mine de ne fçavoir jamais rien de ce qu'ils penfent là-deffus, fi vous ne m'épargnez la peine de lire leurs livres, en me difant leurs pensées: dites-les moi, je vous prie, & ayez la bonté de m'apprendre tout ce que vous fçavez fur le chapitre du flux & du reflux. En vérité, repliqua Eugene, je n'y fuis pas fi fçavant que vous penfez, & je ne fçais que vous en dire. Mais, puifque

vous le voulez abfolument, je vous dirai ce que j'en ai lû autrefois. If me femble que Platon s'eft imaginé qu'il y a de grands gouffres au fond de la mer, & que les eaux qui fortent impétueufement de ces gouffres, & qui y rentrent avec la même impétuofité qu'elles en fortent, produifent le mouvement que nous appellons flux & reflux.

Le fameux Apollonius de Tyane a cru que cela venoit de je ne fçais quels efprits, qui soufflent sous l'ocean, & qui ébranlent les flots par leur fouffle.

D'autres Philofophes fe font perfuadés, que des feux fouterrains faifoient bouillonner la mer, en s'allumant que ce bouillon fe répandoit peu à & ceffoit enfin quand ces feux venoient à s'éteindre..

peu,

Quelques-uns difent que l'air, enfermé au deffous des eaux, pouffe la mer, la fouleve, l'étend vers fes bords: que la mer, après avoir cédé quelque temps, repouffe l'air

avec d'autant plus de violence, qu'elle a fouffert plus de contrainte.

Il y en a qui croient que le fond de la mer étant inégal, & plus creux au milieu qu'aux bords, les eaux de tous les rivages fe précipitent dans les endroits les plus bas ; mais que venant à fe rencontrer toutes enfemble, elles fe choquent & fe chaffent les unes les autres; de forte qu'elles remontent aux lieux d'où elles font tombées.

Plufieurs penfent que les rivieres qui arrofent la terre font la caufe du flux & du reflux: comme fi en fortant de la mer, elles la faifoient couler avec elles; & qu'en y revenant elles la fiffent rebrouffer, & fe replier fur elle-même.

Si les rivieres font cet effet là, interrompit Arifte, ne pourroit-on pas dire de chaque fleuve ce que le Taffe a dit du Pô? qu'il femble porter la guerre à la mer, au lieu d'y porter un tribut:

-e pare

Che guerra porti, e non tributo al mare.

Oui, repartit Eugene en riant, dans la penfée de ces Philofophes, tous les fleuves, même les moins rapides, font des féditieux qui troublent le repos de l'Ocean, par le mouvement qu'ils y excitent. Mais pour parler plus férieufement, continua-t-il, & pour vous dire tour ce que je fçais fur le flux & fur le reflux; quelques Docteurs Arabes l'attribuent à la révolution journaliere du premier mobile, comme fi le Ciel en tournant donnoit le branle aux eaux, auffi- bien qu'aux aftres.

Galilée explique ce mouvement de la mer par celui qu'il imagine dans la terre. Ce grand Aftronome prétend, fi je ne me trompe, qu'à mefure que la terre eft emportée vers l'orient par un mouvement inégal, les eaux de la mer qui font contenues dans les concavités de la terre, fe retirent vers l'occident, jufqu'à ce que, le même mouvement de la terre venant à fe ralentir, elles retournent par

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