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Il n'en eft pas de même de la langue Italienne & de la langue Efpagnole. Elles fe fentent en quelque maniere de la constance & du flegme de leurs nations: elles ne favent ce que c'est que de changer.

Je ne nie pas, répondit Eugene, que notre langue n'ait beaucoup changé depuis la naiffance. J'avoue même que l'ancien François a peu de rapport avec le François moderne, finon en un point effentiel, à quoi vous: n'avez peut-être pas pris garde : c'est que le langage de nos ancêtres a beaucoup de la naïveté du nôtre, comme For chargé de craffe & de terre a l'effence de l'or le plus pur & le plus fin. Et cela paroît vifiblement dans nos vieux Auteurs, qui, avec toute leur négligence, ont une naïveté admirable: de forte qu'on prend autant de plaifir à les lire, qu'à entendre un villageois de bon fens, qui parle mal, à la vérité ; mais qui parle naturellement. J'avouerai encore qu'au fiecle paffè le langage étoit fi infor me, qu'il n'y avoit ni choix, ni ordre, ni cadence dans les paroles : néanmoins je ne puis avouer que le

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changement qui s'eft fait dans notre langue foit un effet de la légereté dont on nous accufe. Cela vient, à mon avis, d'un autre principe. Ce que les étrangers appellent un défaut de la langue Françoife eft la marque, ou plutôt la caufe de la perfection où elle eft parvenue.

Pour entendre ma pensée, il faut remonter à la fource des chofes dont nous parlons. Les langues ont leur naiffance, leur progrès, leur perfection, & même leur décadence, comme les Empires. Vous favez.que la langue Grecque a eu fes différens âges; qu'elle a été dans les foibleffes de l'enfance, avant que d'être dans fa maturité & dans fa force; qu'elle n'eft arrivée à la perfection où elle étoit du temps d'Ariftote, d'Ifocrate, & de Démofthene, qu'après avoir fouffert mille changemens dans fes mots & dans fes phrases. La langue Latine, qui a été fi long-temps la lan→ gue fouveraine & univerfelle, a eu de foibles commencemens, auffi-bien que l'Empire Romain. Ce n'étoit d'abord qu'un mélange de la langue Grecque, & de celle du pays où les

Romains s'établirent : ou plutôt ce n'étoit qu'une corruption de ces deux langues. Il n'y avoit rien de plus barbare, de plus rampant, & de plus pauvre qu'elle, fous la domination des Rois. Elle s'épura un peu dans les premiers temps de la République ; elle s'enrichit enfuite par le commerce qu'eurent les Romains avec les nations étrangeres : elle changea tout-à-fait, & fe polit fort du temps de Terence, de Scipion & de Lelius, qui la cultiverent avec beaucoup de foin. Mais fon état floriffant fut au temps de Ciceron, & fous le regne d'Augufte.

Voilà à peu près le deftin de notre langue. Ce n'étoit dans fon origine qu'un miférable jargon, demiGaulois, demi-Latin, & demi-Tudefque. Dès que les Romains fe furent rendus maîtres des Gaules, la langue Romaine commença à y avoir cours; non feulement parmi les honnêtes gens,mais auffi parmi le peuple: foit que cela vînt de la complaifance des vaincus, qui crurent ne pouvoir fe rendre agréables auxvictorieux, qu'en tâchant de parler leur

langage: foit que ce fut un effet de la néceffité & de l'intérêt ; les fujets ne pouvant avoir d'accès auprès de leurs maîtres fans quelque ufage de la langue Latine: foit enfin que les Ordonnances Romaines, qui obligeoient à faire tous les actes publics en Latin, fiffent peu à peu cet effet-là. Quoi qu'il en foit, les Gaulois qublierent infenfiblement leur propre langage; ou plutôt ils le corrompirent, en le mêlant avec celui des Ro mains.Car,ne pouvant fe défaire toutà-fait de l'un, ni apprendre toutà-fait l'autre, ils les confondirent tous deux; & de cette confufion, il réfulta je ne fais quel jargon, qu'ils appellerent Roman, pour le diftinguer du Latin. Les Francs qui vinrent enfuite, & qui chafferent les Romains des Gaules, au lieu d'abolir ce langa

ge barbare, s'y accommoderent euxmêmes par une politique toute contraire à celle des Romains, qui impofoient le joug de leur langue aux nations vaincues, avec celui de la fervitude, comme parle faint Auguftin. eft ut impe Ces nouveaux Conquérans voulurent riofa civiapparemment faire voir par là aux lùm jugum,

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verum etiam Gaulois qu'ils étoient bien éloignés de rien entreprendre fur la liberté de ceux qu'ils venoient de délivrer de la domination Romaine. Cependant,

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tis gentibus imponeret. Auguft. de

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civit. Dei lib. pour marquer qu'ils étoient les maîtres, ils donnerent, avec le temps, le tour de leur langue à ce Latin corrompu, en l'affujétiffant à l'ufage des verbes auxiliaires, être & avoir, qui font propres à l'Allemand, & qui regnent par tout dans le François. Il ne faut pas douter qu'il ne fe mêlât alors beaucoup de mots Allemands à ce latin Gaulois, ou ruftique, comme quelques-uns l'ont appellé. Il y a bien de l'apparence auffi que ·les Gots & les Bourguignons qui firent une irruption dans les Gaules devant les Francs, que les Huns & les Van→ dales qui vinrent après, ajouterent les uns & les autres, au langage des pays où ils s'établirent, plufieurs termes que le commerce porta enfuite de ville en ville, & de province en province.

A dire vrai, interrompit Arifte, voilà une étrange origine pour une langue auffi noble que la nôtre. Je ne trouvois pas bon, poursuivit-il,

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