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reproche la baffeffe de leur naissance.

Je m'imagine encore, dit Eugene, que dans les premiers voyages d'outre mer les François prirent des Grecs plufieurs mots qu'ils accommoderent à leur langage, & qu'ils imiterent en quelque chofe le tour & l'économie de la langue Grecque ; & de. là vient probablement la conformité qu'a notre langue avec le Grec, plutôt que des colonies que les Phocenfes planterent à Marfeille, avant que les Romains fe rendiffent maîtres des Gaules. Je vous dis mes conjectures, & je ne prétends pas vous obliger à me croire fur ma parole. Si vos cons jectures ne font vraies, dit Arifte, elles font au moins vraisemblables; & c'eft beaucoup que de deviner raifonnablement, dans des chofes auffi obfcures que font celles-là.

Quoi qu'il en foit, reprit Eugene il est certain que, fous le regne de Louis le jeune, la langue étoit formée felon les regles de laGrammaire: car on commença dès-lors à écrire en Roman, au rapport de Fauchet & de du Verdier ; & vous favez que la premiere marque d'une langue faite eft

d'être capable de ftyle, & de fortir des bornes du difcours familier, où toutes les langues font renfermées dans leur naiffance.

Au refte, cette langue qui avoit fes mots, fes articles, les inflexions de fes noms & de fes verbes, fes phrases & fa fyntaxe, étoit comme un enfant au berceau qui n'a pas la force de se foutenir, & qui ne fait que bégayer. Elle fe fortifia un peu, & elle prit l'effor, pour parler ainfi, fous le regne de Philippe Augufte. Comme ce Prince, véritablement augufte par la grandeur de fon courage & par celle de fon génie, n'aimoit pas moins les Lettres que les Armes; on s'appliqua plus aux Sciences fous fon regne, qu'on n'avoit fait fous les regnes de fes prédéceffeurs ; & enfuite

prit plus de foin du langage. Les Poëtes,qui parurent alors fous le nom de Trouveres & de Jongleurs, furent les premiers qui ôterent à l'ancien Roman ce qu'il avoit de plus groffier & de plus barbare: car les Poëtes, en tout pays, ont toujours le plus contribué à polir les langues.

Les Auteurs qui vinrent après fous.

faint Louis, & fous Philippe-le-Bel, commencerent à orner un peu la langue vous jugez bien que ces premiers ornemens furent fort fimples dans un siecle où regnoit la fimplicité. Mais enfin, tout fimples qu'ils étoient, ils ne laiffoient pas d'être des ornemens. Le plus célebre d'entre ces Auteurs, & celui à qui notre langue doit fes premieres beautés, fut Jean de Meun, furnommé le pere & l'inventeur de l'Eloquence Françoife. Le Roman de la Rofe, qu'il continua après la mort de Guillaume de Lorris, eft le premier livre François qui a eu quelque réputation. Il fut eftimé non feulement pour l'élegance du ftyle, mais auffi pour le fonds de la doctrine; car on y a cherché des myfteres qui paffent la galanterie, & à quoi probablement l'Auteur ne penfa jamais mais il est toujours des chercheurs d'allégories, comme des chercheurs de pierre philofophale.

La langue fe purifia beaucoup vers le milieu du regne de Philippe de Valois, témoins les Regiftres de la Chambre des Comptes de Paris, où l'on voit une conftruction & une pu

reté qui approche de notre âge, ou du moins de l'âge de nos peres.

*

Ces heureux commencemens eurent une fuite encore plus heureuse fous le regne de Charles VII. Alain Chartier, fon Secrétaire, qui étoit un laid homme, & un bel efprit, ajouta de nouvelles graces à la langue: Ce qui le fit furnommer à fon tour le pere de l'éloquence Françoife. C'eft lui que Marguerite d'Ecoffe baifa un jour en paffant par une Salle où il étoit endormi: vous favez l'hiftoire, & ce que répondit la Princeffe aux Dames de fa fuite, qui trouvoient étrange qu'elle eût baisé un homme fi laid. Je n'ai pas baisé l'homme, ditelle, j'ai baife feulement la bouche d'où il eft forti tant de belles paroles.

Depuis ce temps-là la pureté de la langue augmenta toujours de plus en plus, avec la politeffe des mœurs. On vit peu à peu difparoître la barbarie des premiers fiecles. Le langage perdit même, à la fin, fon nom de Roman, comme les fleuves perdent quelquefois leur premier nom, quand ils font éloignés de leur fource. A regarder les langues de ce côté

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là, dit Arifte, elles ont beaucoup de rapport avec les rivieres, qui changent à mesure qu'elles coulent, & qui font en quelque façon différentes d'elles-mêmes, bien qu'elles aient toujours le même rivage & le même lit. Les langues, reprit Eugene, reffemblent encore affez aux eaux minérales, qui prennent la teinture & les qualités des lieux par où elles paffent; & de-là vient, que comme dans les guerres du Levant notre langue prit beaucoup de la langue Grecque, elle prit auffi quelque chofe de la langue Italienne dans les guerres d'Italie. Les affaires que les François eurent au-delà des monts. fous Charles VIII. fous François I. & fous Henri II. firent qu'il fe mêla à notre langage quelques locutions étrangeres.

Au refte les chofes changerent beaucoup fous les regnes de ces deux derniers Rois. Les beaux efprits qui fe rencontrerent en foule à la Cour depuis que François I. eut rétabli les Belles Lettres & les beaux Arts, entreprirent tout de nouveau de polir la langue. Ils commencerent par

réformer

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