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réformer plufieurs mots vulgaires qui étoient demeurés Latins avec une fimple terminaison Françoife. Ils les accommoderent à l'air de notre nation, ou ils les abandonnerent tout à fait : ils abolirent auffi les termes qui leur femblerent trop rudes, ou ils y pafferent la lime pour les adoucir. Ils firent même des mots nouveaux en la place de ceux qu'ils avoient ôtés. Enfin ils donnerent à la langue un caractere d'élégance & de doctrine qu'elle n'avoit point auparavant, en l'enrichiffant des dépouilles de la Grece & de l'Italie. Amyot, Joachim du Bellay & Ronfard eurent le plus de part à ce changement: mais tout ce que firent ces grands Maîtres ne fut qu'une ébauche, dont les traits furent effacés ou corrigés dans les regnes fuivans. Defportes, du Perron, Malherbe, Coëffeteau réformerent le langage d'Amyot, de du Bellay & de Ronfard, comme Amyot, du Bellay & Ronfard avoient réformé le langage de ceux qui les avoient précédés. Coëffeteau tient le premier rang parmi ces premiers réformateurs: il embellit fort la langue ; &

H

le ftyle de fon Hiftoire Romaine fembloit fi pur à Vaugelas, qu'il ne pouvoit prefque recevoir de phrafe qui n'y fût employée ; & qu'à son jugement, fi nous en croyons Balzac, n'y avoit point de falut bors l'Hiftoire Romaine, non plus que bors l'Eglife

Romaine.

il

Après tant de réformations, la langue ne laiffa pas de changer encore vers le milieu du dernier regne. Balzac fut le principal Auteur de ce changement, en donnant à notre langue un tour & un nombre qu'elle n'avoit point auparavant. Il fit à peu près comme ces habiles Architectes, qui changent & qui ajoutent quelque chofe à un fuperbe bâtiment pour le rendre régulier: nous devons à ce grand homme le bel arrangement de nos mots, & la belle cadence de nos périodes.

Celui qu'on a accufé fi injuftement d'avoir voulu bannir Car de notre langue contribua peut-être autant que Balzac à la rendre non feulement nombreufe & magnifique, mais exacte & raifonnable. C'est à ce prétendu ennemi de Car que nous de

vons en partie le banniffement du galimatias & du Phebus, que Nerveze & des Efcuteaux avoient autrefois introduits à la Cour. Il fut le premier qui fe déclara pour la pureté, & qui enfeigna comment il falloit accorder le beau ftyle avec le bon fens. Entre les autres Académiciens, qui travaillerent fur le même plan, Vaugelas s'attacha particulierement à établir la netteté du ftyle, & à régler la langue felon la façon de parler des meilleurs Ecrivains du temps, & des plus honnêtes gens de la Cour. Enfin les changemens qui fe font faits depuis trente ans ont fervi de dernieres difpofitions à cette perfection, où la langue Françoise devoit parvenir fous le regne du plus grand Monarque de la terre.

Vous voyez bien que le changement n'a rien gâté, & qu'on a tort de nous reprocher notre inconftance fur le chapitre du langage. C'eft là le cours ordinaire des chofes humaines, & particulierement des langues vivantes. L'Italien & l'Espagnol ont changé à leur tour, nonobstant toute la fermeté dont fe piquent les Italiens & les Efpagnols. L'un &

l'autre n'étoient à fa naiffance qu'un jargon qui faifoit pitié ; & ce ne fut qu'en changeant qu'ils devinrent ce qu'ils font aujourd'hui. Il eft vrai que ces deux langues ont été plutôt faites que la langue Françoife: mais cela ne leur donne aucun avantage fur elle. Les ouvrages qui font le plutôt achevés ne font pas les plus parfaits la nature eft des fiecles entiers à former l'or & les pierres précieuses.

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Quoi qu'il en foit, la langue Efpagnole & la langue Italienne, lefquelles font nées de la confusion des peuples qui fe font rendus maîtres de I'Efpagne & de l'Italie, ne languirent pas long-temps dans les foibleffes de l'enfance: elles devinrent capables de quelque chofe prefque auffi-tôt qu'elles furent nées, pareilles en cela à ces rivieres qui font navigables à leur fource. En un mot, elles parvinrent en affez peu de temps au comble de leur perfection: mais auffi, bien loin de fe purifier toujours de plus en plus, comme la nôtre, elles fe font gâtées peu à peu, ou du moins elles font déchûes de leur premiere pureté:

de forte qu'elles ne font pas fi pures préfentement, qu'elles étoient aux fiecles paffés. Pour ce qui regarde l'Espagnol, les Lettres de Guevarre l'Hiftoire de Mariana, toutes les Oeuvres de fainte Thérefe, de Ribadeneira & de Grenade, ont une netteté & une élégance que les livres nouveaux n'ont point. Et pour ce qui eft de l'Italien, je connois peu d'Auteurs modernes de delà les Monts, qui vaillent les Villani, les Petrarques & les Boccaces. Cela vient apparemment de ce que les chofes qui acquierent bien-tôt leur perfection tombent bien-tôt en décadence. Ainfi les fruits avancés ne font pas de garde, & les femmes vieilliffent plutôt que les hommes. Au contraire, ce qui fe fait avec beaucoup de temps, dure auffi beaucoup de temps; & c'eft ce qui m'affure en quelque façon de la durée de notre langue.

Si elle eft dans fa perfection, dit Arifte, je meurs de peur qu'elle ne fe corrompe bien-tôt ; car il me femble que les chofes ne font jamais plus près de leur ruine, que quand elles font arrivées au plus haut point où

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