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elles peuvent monter. Je pourrois vous citer là-deffus un aphorifme d'Hippocrate, & plus d'une fentence de Seneque mais je me contente de vous citer l'exemple de la langue Latine. Ne dégénéra-t-elle pas en moins de rien de fa premiere nobleffe? N'eutelle pas la même fortune que la grandeur de l'Empire Romain, qui saffoiblit toujours depuis le fiecle d'Augufte? Dès le regne de Neron le ftyle changea tout à fait. Quintilien avoue que de fon temps il n'y avoit prefque nulles traces de l'ancienne pureté : & vous favez que Tertullien reprocha que fermone aux Romains, dans l'Apologie qu'il préfenta à l'Empereur Severe, qu'ils Tertull. Apol, n'avoient rien retenu de leurs ancê tres, non pas même le langage.

Ipfo deni

proavis renunciaftis.

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Je fais tout cela, reprit Eugene & je fais de plus que la belle Latinité fe feroit perdue entierement après la deftruction de l'Empire Romain, fi elle n'avoit été confervée dans les bibliotheques des Curieux. Néanmoins je ne puis m'imaginer que notre langue ait jamais de fi funeftes avantures je croirois plutôt, s'il m'étoit permis de faire fon horofco

pe, qu'elle fera toujours floriffante. Ce n'eft pas, continua-t-il, que ces fortes de révolutions ne foient affez naturelles; mais c'eft que la langue Françoife a quelque chofe de fingulier & d'extraordinaire, qui doit la préferver de la corruption à laquelle les autres langues font fujettes. Nous favons que la langue Latine fut altérée d'abord par le mê-lange de tant de nations diverfes, qui étoient tributaites ou fujertes des Romains, & que la curiofité, le commerce, ou d'autres raifons attiroient fouvent à Rome; qu'enfuite elle fe corrompit tout à fait par les invafions des Goths & des autres peuples du Nort; & qu'enfin l'ufage s'en perdit infenfiblement après que les Lombards fe furent emparés de l'Italie.

Voilà les véritables caufes de la décadence & de la perte entiere de la langue Latine. Mais, pour peu que vous y faffiez de réflexion, la langue Françoife n'a rien de pareil à craindre. Car, en premier lieu, la paffion que tous les autres peuples ont pour elle nous peut prefque affurer qu'ils n'y donneront aucune atteinte; &

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l'expérience nous fait voir que les nations différentes qui abordent de tous côtés dans la Capitale du Royaume oublient plutôt leur langue naturelle, qu'elles ne corrompent la nĉtre. D'ailleurs il n'y a pas d'apparence qu'une Monarchie qui n'a point changé depuis fon établiffement devienne jamais la conquête des étrangers. L'étoile de notre grand Monarque promet à la France une fortune toute contraire ; & je ne fais quelle infpiration me dit que les Lys qui viennent du Ciel, bien loin de fe flétrir dans le champ où ils font plantés, fleuriront un jour par toute la terre.

Quand vos prophéties feroient vraies, dit Arifte, il ne s'enfuit pas que notre langue demeure toujours dans l'état où elle eft préfentement. Vous avez raison, repliqua Eugene : car encore que nous n'ayions rien à craindre du côté des caufes étrangeres, le feul caprice des hommes eft capable de faire quelques changemens dans le langage. C'eft la nature des chofes vivantes, de changer do temps en temps; & s'il y a quelques

Langues modernes qui ne changent point, elles doivent être comptées. entre celles qui font mortes. Je ne prétends donc pas que la nôtre ne, change point du tout; mais je prétends que les changemens qui s'y feront dans la fuite des fiecles ne feront pas plus effentiels ni plus remarquables, que ceux qui s'y font faits depuis trente ans ; je veux dire qu'ils n'altéreront point le fonds de la lan-gue.. 11 y aura toujours la même naïveté, la même clarté, le même ordre, & le même tour dans le style.. Quelques mots & quelques façons de parler pourront s'établir ou s'abolir, felon la bizarrerie de l'ufage : mais. ce changement fera tout au plus comme une légere maladie qui arrive dans. la force de l'âge, & qui ne changeni le tempérament ni l'humeur; ou. plutôt il fera de notre langage comme de nos modes.

A la vérité nos modes changent de temps en temps: mais avez-vous. pris garde que ces changemens ne vont pas tant à l'effentiel des habits qu'aux ajutemens & à la petite-oie ? Depuis que les vieilles modes ont été

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bannies avec le vieux langage, on a porté en France des étoffes & des ru bans de toutes façons & de toutes couleurs; on a refferré ou élargi les chauffes, felon que la fantaifie en a pris; on a donné mille formes aux: collets & aux chapeaux : mais on ne s'eft point avifé de porter des robes à la Romaine, ou des veftes à la Perfane; on n'a point quitté le chapeau pour prendre le turban des Turcs,. ou le bonnet des Polonois; les fraifes mêmes, les collets montés, les vertugadins ne font point revenus, & apparemment ils ne reviendront jamais, parcequ'ils font contraires à cet air libre, propre & galant dont on s'habille depuis plufieurs années, & qu'on a foin de conferver avec toutes fortes d'habillemens. Difons auffi, pour ce qui regarde la langue, que· le Nerveze, le galimatias & le Phebus ne reviendront point, par la raifon qu'il n'y a rien de plus oppofé à cet air facile, naturel & raisonnable, qui eft le caractere de notre nation, & comme l'ame de notre langue.

Il feroit inutile, dit Arifte, deVous contefter une chofe qui ne peut

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