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être décidée que quand nous ne ferons plus au monde, & dont la poftérité feule fera juge. Il vaut mieux, continua-t-il, vous en croire fur votre parole, que de vous contredire mal-à-propos. Vous en croirez ce qu'il vous plaira, repartit Eugene : je pourrois bien me tromper dans mes conjectures; & après tout je ne vois pas affez clair dans l'avenir pour répondre de ce qui arrivera dans mille

ans.

Pour moi, dit Arifte, je fuis d'avis que fans nous mettre en peine de ce que deviendra un jour notre langue, nous tâchions de la bien favoir telle qu'elle eft préfentement. Ce n'est pas une petite entreprife, repliqua Eugene: on a mis les chofes à un tel point, que plus on étudie le François, plus il y a en quelque façon à apprendre : la pureté, la netteté, l'exactitude & le beau tour coûtent infiniment: tout cela deman-de une grande étude & un grand travail.

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J'en demeure d'accord, dit Arifter:: mais une langue auffi belle que la nôtre, ajouta-t-il, mérite bien quel

que application & quelque foin. Ja pardonne aux Italiens & aux Efpagnols de ne l'étudier pas à fond; mais je ne puis le pardonner aux François fur tout à ceux qui ont de la difpofition & du naturel pour les langues. N'eft-ce pas une chofe ridicule, de cultiver foigneufement les langues étrangeres, & de négliger fa langue naturelle? d'entendre parfaitement le Grec, le Latin, l'Italien, l'Espagnol & de ne favoir ni parler, ni écrire poliment en François.

Que faut-il faire, dit Eugene, pour bien parler, & pour bien écrire ? Vous le favez mieux que moi, répondit Arifte,& c'est à vous à m'apprendre ce que vous avez, fait pour cela. A vous dire la vérité, reprit Eugene, je dois le peu que je fais au commerce des honnêtes gens & à la lecture des bons livres. Ce font, à parler en général, les deux voies qu'il faut tenir, ce me femble, pour favoir bien la langue Françoife: l'une ne fuffit pas fans l'autre. En fréquentant les perfonnes polies, on prend infenfiblement je ne fais quelle teinture de politeffe que les livres ne donnent point is

ce n'eft gueres que dans les belles converfations qu'on apprend à parler noblement & naturellement tout en-femble. Mais auffi ce n'eft gueres que: dans les bons livres qu'on apprend à parler jufte, & felon toutes les regles de l'art. Ceux qui ne font que lire,. & qui ne voient point le beau monde, ne font pas affez polis, & n'ont pas pour l'ordinaire cet air aifé & naturel, qui eft fi fort à la mode; & ceuxqui ne lifent point du tout, ou qui lifent fans nulle réflexion, comme quelques gens de la Cour qui paffènt toute leur vie daus les cercles & dans: les ruelles, ne font pas fort exacts :à peine peuvent-ils écrire un billet, qu'ils ne faffent quelque faute contre la pureté ou contre la netteté du ftyle.

Mais puifque la lecture eft fi néceffaire, reprit Arifte, que faut-il lire pour bien favoir notre langue? Je voudrois, répondit Eugere, qu'on lût d'abord Vaugelas fes Remarques font pleines de mille réflexionsqui donnent une véritable idée de La Langue : elles contiennent prefque

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toutes les regles qui peuvent fervir
pour bien parler & pour bien écrire..
Son Quinte-Curce et un modele fur
lequel on peut fe former fûrement.
Il faut lire Balzac : car il a de grandes
beautés, & on apprend beaucoup en
le lifant; mais il ne faut pas trop l'imi-
ter. Il eft aifé de parler mal, en vou-
lant parler auffi-bien

que lui.
Quoique le ftyle de Voiture ne foit
pas toujours fort châtié, parcequ'il
n'a jamais revû fes ouvrages, & que
ce n'eft pas lui qui les a fait impri-
mer; la lecture de fes Lettres ne laiffe
pas d'être fort utile. Si on n'y trouve
pas la même pureté du langage, on y
trouve une naïveté & une délicateffe
qui ne fe rencontrent point par tout
ailleurs.

La Défenfe de Voiture eft le chef-
d'œuvre de Coftar: fes autres livres-
ne font
pas fi fins ni fi corrects que

celui-là.

Tout ce que la Chambre & d'Ablancourt ont mis en lumiere mérite fort d'être lû. Il feroit à fouhaiter que nous euffions les Lettres du Secré taire de l'Académie car il ne fort:

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rien de fes mains qui ne foit fini; & il y a dans tout ce qu'il fait un certain air d'honnête homme qui me plaît infiniment.

Nous avons attendu long-temps les Oeuvres d'un Académicien que les plus favans dans la langue confultent comme leur oracle: elles paroiffent enfin ; & il ne faudroit prefque que ce livre là pour apprendre à bien écrire.. Les Plaidoyers, qui en font la principale partie, ont les vraies beautés de l'éloquence Françoife; & quand l'Auteur ne donneroit point au Public la Rhétorique: qu'il a promife, nous n'aurions rien à lui demander après le préfent qu'il nous a fait.

Que penfez-vous, dit Arifte, des Sentimens de l'Académie fur le Cid? C'eft, à mon avis, repliqua Eugene, un ouvrage achevé en fon genre: le nom que ce livre porte, & les mains par lefquelles il a paffé avant que devoir le jour, le doivent faire eftimer de tout le monde..

L'Hiftoire de l'Académie Françoise eft un des livres François que j'eftime le plus. Outre le bon fens & la po

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