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d'une longue étude, pour avoir une connoiffance parfaite de notre langue leur génie leur tient lieu de tout; ils n'ont qu'à le fuivre pour bien parler. Il fe voit à la Cour plufieurs perfonnes de ce caractere, qui, fans avoir jamais beaucoup étudié la langue, parlent comme les maîtres, & peut-être mieux que les maîtres; avec le feul fecours de la nature, ils gardent exactement toutes les regles de l'art. Mais favez-vous bien que notre grand Monarque tient le premier rang parmi ces heureux génies, & qu'il n'y a perfonne dans le Royaume qui fache le François comme il le fait les perfonnes qui ont l'honneur de l'approcher admirent avec quelle netteté & avec quelle jufteffe il s'exprime. Cet air libre & facile, dont nous avons tant parlé, entre dans tout ce qu'il dit; tous fes termes font propres & bien choifis, quoiqu'ils ne foient pas recherchés ; routes fes expreffions font fimples & naturelles mais le tour qu'il leur donne eft le plus délicat & le plus noble du monde. Dans fes difcours les plus familiers, il ne lui échape pas

:

Augufto prompta ac profluens,

un mot qui ne foit digne de lui, & qui ne fe fente de la majefté qui l'accompagne par tout: il agit & il parle toujours en Roi; mais en Roi fage & éclairé, qui obferve en toutes rencontres les bienféances que chaque chofe demande. Il n'y a pas jufqu'au ton de fa voix qui n'ait de la dignité, & je ne fai quoi d'augufte, qui imprime du refpect & de la vénération. Comme le bon fens eft la principale regle qu'il fuit en parlant, il ne dit jamais rien que de raifonnable; il ne dit rien d'inutile ; il dit en quelque façon plus de chofes que de paroles: cela paroît tous les jours dans ces réponses fi fenfées& fi précifes, qu'il fait fur le champ aux Ambaffadeurs des Princes, & à fes fujets. Enfin, pour tout dire en un mot, il parle fi bien, que fon langage peut donner une véritable idée de la perfection de notte langue. Les Rois doivent apprendre de lui à regner: mais les peuples doivent apprendre de lui à parler. Si la langue Françoife eft fous fon regne ce qu'étoit la langue Latine fous celui d'Auguf te, il eft lui-même dans son fiecle

eloquentia

ee qu'Augufte étoit dans le fien: en- quæ deceret tre les grandes qualités qui lui font principem, communes avec cet Empereur fi cé- fuit. Tacit. lebre, il a l'avantage d'être né élo- Ann. lib. 13. quent, comme il faut qu'un Prince le foit.

Il ne reffemble pas feulement à Augufte, dit Arifte; il reffemble auffi à Čefar. Le Roi de France patle fa langue, comme le Conquérant des Gaules parloit la fienne, c'eft-à-dire, qu'il la parle très-purement, & fans nulle affectation; de forte que fi notre Prince fe donnoit la peine d'écrire lui-même fon Hiftoire,les Commentaires de Louis vaudroient bien ceux de Cefar.

Quoique le foleil fût déja couché quand Arifte & Eugene commencerent à parler du Roi, ils ne laifferent pas de faire encore deux ou trois tours de promenade : & les autres: vertus de ce grand Monarque les occuperent fi agréablement, que leur entretien dura jufqu'à la nuit, qui les obligea enfin de fe retirer.

LE SECRET.

III. ENTRETIEN.

OM ME les entretiens: d'Arifte & d'Eugene n'étoient point étudiés, & que l'occafion feule en

faifoit naître les fujets,une confidence que fit Eugene à fon ami, au commencement de leur promenade donna lieu à la converfation.

Vous voyez bien, mon cher Arifte, lui dit-il, après lui avoir communiqué une affaire très-importante,. que je ne m'ouvrirois pas à vous, comme je fais, fi je n'étois perfuadé qu'on ne rifque rien en vous confiant un fecret. Vous me faites juftice, repartit Arifte, d'avoir un peu de confiance en moi; car, outre que je fuis: à vous il y a long-temps, je fais affez bien me taire quand je ne dois point parler.

Vous ne fauriez gueres vous louer davantage, repliqua Eugene. Il est fi aifé de ne dire mot, répondit Arifte, que je ne crois pas me louer beaucoup, en me vantant de favoir affez bien garder le filence.

Ariftote n'étoit pas de votre avis, reprit Eugene. Il croyoit que rien n'étoit plus difficile que de taire ce qu'on ne devoit pas dire; & je fuis de fon fentiment: car il faut pour cela être toujours fur fes gardes, & avoir beaucoup d'empire fur foimême. Les habiles gens ont tant de lumieres pour découvrir nos penfées, & tant d'artifices pour nous faire parler, qu'il eft prefque impoffible de leur rien cacher. Il n'y a point de fecrets un peu importans, que l'utilité ou la gloire ne follicitent de révéler. Enfin c'est, à mon avis, un des plus grands efforts de l'efprit humain, que de fe taire en quelques rencontres; & Socrate avoit raifon de dire qu'il étoit plus mal-aifé de garder un fecret, que de tenir dans fa bouche un charbon ardent.

Pour moi, dit Arifte, foit que je ne fois pas né grand parleur, ou que

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