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je me fois fait une habitude de ne dire que, ce que je veux, j'ai fi peu de peine à ne point parler de ce qu'on me dit, que je ne puis croire que ce foit une chofe auffi difficile que vous penfez. Je ne prétends pas auffi me faire honneur de mon filence. Je fai bien que c'est une action infame, que de violer le fecret d'un ami; mais je ne crois pas que ce foit une action glorieufe, que de le garder fidelement. L'obligation que nous avons à cet égard eft fi étroite & fi naturelle, qu'il ne faut qu'être un peu raifonnable pour ne s'en difpenfer jamais; & je ne vois pas qu'il y ait plus de mérite à ne pas publier un fecret, qu'à conferver un dépôt.

A la vérité, repliqua Eugene, on ne fait en cela que ce qu'on doit; mais il y a fouvent de la gloire à s'acquitter de fon devoir : quoique toutes les femmes foient obligées d'être modeftes & régulieres, celles qui le font ne laiffent pas d'être eftimées dans le monde.

Mais il faut avoir le cœur bien mal fait pour abufer d'une confidence, dit Arifte; & pour moi je ne sai

point de plus noire trahison. Comme la confiance eft le gage le plus effentiel d'une fincere amitié, c'est la derniere lâcheté que de faire un mauvais ufage des chofes qu'on nous confie; & c'eft en quelque façon violer ce qu'il y a de plus facré dans la fociété civile. Pythagore faifoit une religion du fecret. Le Chancelier Bacon, que

Secretis

Scient

je n'eftime guere moins que Pytha- etiam myfque Pytha- teria debengore, le compte entre les myfteres tur. Baco de les plus faints: de forte que, felon la Augment. morale de ces deux grands hommes, on ne peut révéler un fecret fans commettre en même temps une espece de facrilege.

Si cela eft ainfi, dit Eugene, il fe commet bien des facrileges tous les jours car il y a peu de gens qui ne révelent les fecrets dont ils font dépofitaires. La plupart des hommes reffemble à ce Valet de Terence, qui ne pouvoit rien retenir, non plus qu'un tonneau percé: ou plutôt un fecret, dans la plupart des hommes, eft femblable au vin nouveau, qui ne cherche qu'à s'échaper & qu'à fe répandre. Les plus fideles ne font pas toujours difcrets, & les plus difcrets

lenus rihac atque Terent. in Esnuch.

marum fum

illac perfluo.

ne font pas toujours maîtres d'euxmêmes; il y a des momens où leur difcretion les abandonne : & cela vient, à mon avis, de l'inclination naturelle que nous avons à parler, & du plaifir que nous prenons à appren dre aux autres ce qu'ils ignorent. En parlant, il eft aifé de parler trop : quand la langue est une fois déliée, elle a de la peine à fe renfermer dans les bornes que la prudence lui prefcrit. Le plaifir qu'on trouve à fe faire écouter eft d'autant plus fenfible, que l'attention qu'on nous donne eft plus grande ; & l'attention eft dautant plus grande, que ce que nous difons eft plus furprenant & plus nouveau. La vanité fe mêle un peu là-dedans en déclarant à une perfonne ce qu'une autre nous a confié, nous lui faifons entendre que l'on a créance en nous, que l'on nous eftime, & que l'on nous confulte. Enfin, c'eft quelque chofe de fi doux de faire une confidence, qu'il ne faut pas s'étonner qu'on en faffe tant dans le monde, aux dépens de la difcrétion & de la fidélité même.

Mais fi les hommes ne peuvent

retenir

retenir leur langue, que fera - ce des femmes qui ont naturellement tant de babil?

Femina cofa garrula e loquace.

Il femble que la plupart d'elles Biblioth, bif. aient bû des eaux de ce Lac d'E- toric lib. 2.66 thiopie dont Diodore de Sicile fait mention, qui trouble tellement l'efprit de ceux qui en boivent, qu'ils ne peuvent rien cacher de ce qu'ils favent: car elles n'ont pas la force de fe taire; & le filence leur eft un fardeau infupportable, pour ufer des termes d'un Poëte Grec. Dès qu'on leur a dit un mot à l'oreille, elles ont une furieufe démangeaifon de caufer; elles étouffent, elles crevent fi elles ne parlent. Mais elles n'ont garde d'étouffer ni de crever, ajouta-til; il y en a peu qui ne fe foulagent bien-tôt : les plus retenues ne celent rien à leurs confidentes, & chaque femme a la fienne. Enfin elles font prefque toutes de la nature des échos, qui redifent tout ce qu'on leur dit: & je connois peu de femmes à qui l'on ne puiffe appliquer l'épitaphe d'une Dame Espagnole:

K

A qui yaze fepultada
Una muy noble Senora
Qu'en fu vida, punto ni hora
Tuvò la boca ferrada.
Y tanto fue lo que hablò

Que aunque no aya mas que hablar,
Nunca llegarà el callar
A donde fu hablar-llego.

Cette femme Efpagnole, dit Ariste, n'avoit rien du caractere & de l'humeur de fa nation: car les Efpagnols parlent peu ; & ils font fi fideles en ce qui regarde le fecret, qu'au rapport d'un Ancien, il s'en eft vû plurum credita fieurs qui ont mieux aimé fouffrir rum immor toutes fortes de tourmens, & moulis fortior rir même, que de révéler les chofes taciturnita- qu'on leur avoit confiées.

Sæpè tormentis pro filencio re

tui: adeò il

tis curaquàm vitæ. Juftin. lib. ult.

Au refte, toutes les femmes ne font. pas fi indifcretes ni fi caufeufes que celle-là. Je pourrois vous en citer qui favent fort bien fe taire : & fi on examine l'histoire des fiecles paffés, on trouvera mille exemples fameux de la fidélité & de la difcrétion desDames. On en verra qui ont eu autant de conftance que ces Efpagnols dont je viens de parler, & qu'on pourroit appeller.

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