une perfonne fûre & éprouvée. Il faut s'adreffer en ces rencontres, non pas précisément à celle qui nous eft la plus plus agréable & la plus chere, mais à la plus fidele & à la plus fage. Samfon ne fe trouva pas bien d'avoir dit fon fecret à Dalila : & il en coûta la vie à l'Empereur Maxime, pour avoir révélé le fien à fa femme. Il y a des amis tendres, commodes, officieux, à qui il ne faut rien dire d'important, parcequ'ils ne font pas fecrets. Ce n'eft pas violer les regles de l'amitié que d'en ufer de la forte: ce feroit pécher contre celles de la prudence, que d'en ufer autrement.

Mais quand on a un ami intime qui eft fort fecret, dit Arifte, ne doit-on pas lui découvrir ce qu'on cele aux autres Ouï, fans doute, repliqua Eugene, il ne lui faut rien cacher: & c'eft le plus doux plaifir de la vie d'avoir un autre foi-même, dans le fein duquel on puiffe verfer, pour ainfi dire, fes plus fecrettes penfées. Je dis un autre foi-même, car un fuffit: & quoiqu'on ait plufieurs amis, on ne doit point avoir plufieurs confidens dans les chofes de la der

tribus eft ma

vulgatum.

niere conféquence. Le fecret d'un honnête homme doit être comme le cœur d'une honnête femme, pour un feul. Ce que trois perfonnes fa- Secretum, fi vent eft public, ou ne tarde gueres à nifeftatum, le devenir. Dès qu'une chofe a paffé omnibus dipar plus d'une bouche, elle fe ré- S. Aug. pand à peu près comme l'eau des cafcades qui va de baffin en baffin: ou plutôt, les fecrets font comme ces fontaines conduites fous terre, qui coulent dans les rues, dès qu'elles commencent à fe produire. Enfin, il n'y a rien de plus vrai que ce que difoit Emanuel Philibert, Duc de Savoye Les chofes qu'un homme renfer me dans fon cœur ne peuvent jamais être découvertes, & celles qu'il confie à un autre ne peuvent pas demeurer longtemps cachées. Ce que je dis regarde proprement les chofes qui font, pour ainfi dire, de fimples fecrets, fur lefquelles il n'y a point à délibérer; & non pas celles qui demandent une grande délibération, & fur lef quelles il eft néceffaire d'avoir l'avis de beaucoup de gens.

Il eft vrai, dit Arifte, que les fecrets d'Etat, par exemple, doivent

être néceffairement communiqués à plufieurs perfonnes car, quelque fage que foit un Prince, il a befoin de quelques Miniftres qui le fecondent: & on a eu raifon de blâmer Louis XI. de ce qu'il faifoit tout de fa tête. C'est ce que Brezé, grand Sénéchal de Normandie,lui reprocha un jour à la chaffe d'une maniere affez plaifante. Le Roi étoit monté fur une petite haquenée : Sire, lui dit-il, je ne pense pas qu'il fe puiffe voir un cheval de plus grande force que cette baquenée. Comment cela, dit le Roi ? C'efl, répartit le Sénéchal, qu'elle porte Votre Majefté & tout fon Confeil. Ce bon mot fut perdu : il fit feulement rire le Roi mais il ne lui fit point changer de conduite.

Il feroit à defirer, continua Eugene, que le Prince gouvernât tout, feul, & qu'il fût lui-même tout fon. Confeil.Mais, comme la foibleffe humaine ne le fouffre pas, & que Louis XI. avec toute fa politique a fait des fautes énormes, il faut que la prudence des Rois foit foutenue par celle de leurs Miniftres; mais il ne faut pas que la prudence des Miniftres

foit la regle de celle des Rois. Le Prince doit écouter les avis de fon Confeil, fans dire le fien : après qu'une affaire a été examinée mûrement en fa présence, c'eft à lui à décider : & il doit quelquefois cacher à fon Confeil même la réfolution qu'il prend, à l'exemple de Tibere. D'ailleurs le Confeil des Rois doit être de peu de perfonnes. C'est affez de deux ou trois hommes fages & fideles car le fecret ne peut pas fubfifter long-temps dans la multitude: & de là vienr, qu'à parler en général, il ne fe garde jamais bien dans les Républiques. La conjuration de Portugal, & la ligue de Venife, dont nous parlions tout à l'heure, ne font pas des exemples fur quoi il faille fe régler: ce font des miracles, comme vous les avez appellez vous même. De forte que les fecrets du Prince doivent être renfermés dans ce petit nombre avec lequel il délibere.

Ceux qui exécutent n'y doivent-ils pas avoir part, dit Arifte? Quand le Prince peut s'empêcher de leur en donner connoiffance, repliqua Eugene, il faut qu'il les faffe agit, fans

Didac. Saa

pref. moral, y

polic.

leur déclarer pourquoi ils agiffent.. Les gens qui font employés dans l'exécution ne doivent favoir précifément que ce qu'ils doivent faire: Vedra, Em- Ainfi Philippe II. Roi d'Espagne, qui a mérité par fa conduite le nom de prudent, ne communiquoit jamais entierement fes deffeins à ceux dont il fe fervoit pour les faire réuffir: il cachoit même quelquefois à fes Ambaffadeurs le fin de leur Ambaffade; pour conduire les affaires plus fûrement, & pour moins expofer fa réputation, en cas que l'événement ne répondît pas à fes projets.

Les Généraux d'armée ne doivent découvrir leurs réfolutions à perfonne. Il faut qu'ils conferent avec plufieurs de ce qui fe peut entreprendre : mais il ne faut pas qu'ils déclarent à qui que ce foit ce qu'ils veulent exécuter, à moins d'une néceffité indifpenfable & Scipion doit être en cela leur modele, comme en tout le Nemo on refte. Tite - Live a remarqué, que nium quòire- quand ce brave & fage Romain alla tur fciebat , præter C. La affiéger la nouvelle Carthage, perfonne ne favoit où alloient les troupes, hors Lelius, & que Lelius n'en.

Jium.'

L. 3. c. 6.