Sander lib. 2. de Schifm.

chute de la Tamife; car il n'auroit

eu qu'à dire que le premier accident étoit une pâmoifon, & le fecond une toux de cet animal.

Mais fi la mer eft un animal > continua-t-il, c'eft fans difficulté de toutes les bêtes de charge la plus forte les chameaux & les éléphans ne font rien en comparaifon d'elle: on lui a vû porter autrefois des villes entieres dans des vaiffeaux d'une grandeur prodigieufe, & elle porte tous les jours des navires qui valent prefque des villes.

C'eft auffi, reprit Eugene, de toutes les bêtes farouches la plus affamée & la plus furieufe: elle dévore non feulement les hommes & les navires, mais auffi les villes & les Royaumes:

Ocean vorace ;

Ocean, che non pur le merci, e i legni, Ma intere inghiotte le città, e i regni.

Ce Prince qui fouetta la mer, & qui y fit jetter des chaînes pour

la

la réduire fous fon obéiffance, étoit fans doute de l'opinion de ceux qui en ont fait un animal; & il la regardoit apparemment comme une de ces bêtes féroces, que l'on châtie & que l'on enchaîne, quand on veut les apprivoifer & les adou

cir.

Mais dites-moi, mon cher Arifte, de tant d'opinions différentes laquelle eft-ce qui vous plaît le plus ?. A vous parler fincerement, repartit Arifte, elles ne me plaifent gueres toutes. Cela vient peut-être de ce que n'étant ni Philofophe, ni Aftronome, ni Medecin, je n'ai pas l'efprit de les bien comprendre. Vous avez raifon, reprit Eugene, de n'en être pas fort content. Les unes font évidemment fauffes; les autres ne font pas trop raifonnables; pas une n'explique tout ce qu'il y a de fingulier dans le flux & le reflux. Car ceux qui ne font point agit les aftres ne peuvent dire pourquoi la mer commence à monter quand la lune fe

B

leve fur notre horizon, ou fur celui de nos antipodes: pourquoi le fort du flux, que les Italiens appellent il vivo dell' aqua, eft précifément quand la lune eft à fon midi: pourquoi les marées font plus violentes aux nouvelles & aux pleines lunes pourquoi elles s'augmentent au folftices, & aux équinoxes, & beaucoup plus à l'équinoxe de l'automne qu'à celui du printemps: pourquoi le flux & le reflux fe fait deux fois en vingt-quatre heures: pourquoi la mer eft régulierement fix heures à monter & fix heures à defcendre: & pourquoi enfin elle retarde presque d'une heure tous les jours.

Mais auffi les opinions qui attribuent tout aux aftres n'expliquent pas toutes les inégalités de ce mouvement: d'où vient, par exemple, qu'il n'y a point de flux & de reflux dans toute la côte d'Italie, ni prefque dans toute la mer Méditerranée, excepté à Venife; qu'il n'y en a point dans la mer Balti

que, ni dans la côte feptentrionale de la mer Pacifique, quoiqu'il foit affez grand dans les côtes méridionales de cette mer: d'où vient que fous la zone torride il eft fort remarquable en quelques lieux, comme dans toute la mer Rouge; & prefque infenfible en d'autres, comme dans le Golphe du Mexique, à l'Ile de Saint Thomas, & aux Moluques pourquoi dans la Nouvelle France, & à la côte de Bordeaux, la mer monte en cinq heures & defcend en fept: pourquoi dans la Guinée d'Afrique le flux dure quatre heures, & le reflux huit: pourquoi l'un & l'autre ne dure chacun que deux heures aux rivages de Cambaya: pourquoi dans une certaine mer des Indes l'eau eft quinze jours à monter, & quinze jours à defcendre: pourquoi vers le pole arctique le flux & le reAux fe fait réglément deux fois le jour, fans qu'il fe faffe jamais la nuit: pourquoi il ne fe fait que la nuit dans la mer Perfique, & qu'il

ne fe fait que le jour dans la mer Indienne.

,

Ils ne peuvent encore rendre raifon, d'où vient que, que, dans les ports de Cambaya, les grands flux ne font qu'à la pleine lune; & qu'aux ports du Royaume de Calecut, qui n'en eft pas fort éloigné, ils n'arrivent qu'à la nouvelle lune ; d'où vient que dans la mer Adriatique les marées font plus fortes en hiver qu'en été & plus foibles la nuit que le jour pourquoi en quelques endroits, comme à Dieppe, les grandes marées font deux ou trois jours après les nouvelles & les pleines lunes: pourquoi les marées croiffent à la nouvelle lune, lorfque cet aftre a le moins de force, & qu'elles diminuent quand il commence à fe fortifier: enfin pourquoi le flux fe fait auffi réglément à nos rivages, quand la lune eft fous notre horizon, que quand elle eft fur nos têtes, & qu'elle bat à plomb fur

la mer.

Ces bizarreries du flux & du re