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la nature a élevées au-deffus des autres. Il y en a eu prefque dans tous les temps d'intelligentes & d'habiles, qui ont été capables des négociations les plus importantes ; & il s'en eft vâ même en quelques Etats qui ont eu la tête affez forte pour porter le faix des affaires publiques.

Arifte dit alors à fon ami tout ce que fa mémoire lui put fournir fur le chapitre des fages Princeffes qui ont gouverné les Empires. Il n'oublia pas Pulcherie, fœur de Theodofe, Blanche, mere de faint Louis, Ifabelle, femme de Ferdinand; Catherine Paléologue, Ducheffe de Mantoue & Marquife de Montferrat de forte qu'Eugene fut obligé de confeffer à la fin qu'il y avoit parmi les femmes de beaux efprits de toutes les efpeces & de toutes les manieres.

Les réflexions qu'ils firent enfuite l'un & l'autre, fur la conduite admirable de ces Princeffes, les engagerent fi avant dans l'hiftoire & dans la politique, qu'ils ne purent prefque finir leur converfation.

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LE JE NE SAI QUOI.

V. ENTRETIEN.

Orfqu'Arifte & Eugene fe furent rendus au lieu de leur promenade, ils fe témoignerent d'abord la joie qu'ils avoient de paffer enfemble de fi douces heures : & Eugene prenant la parole, quelque folitaires que nous foyions, je ne porte, dit-il, aucune envie, aux plus agréables fociétés du monde.

Arifte dit là-deffus à fon ami tout ce qu'une tendre amitié peut infpirer en ces rencontres; & puis laiffant aller fon efprit où fon cœur le conduifoit, il faut avouer, mon cher Eugene, continua-t-il, qu'il y a peu d'amis comme nous, qui foient éternellement ensemble, fans fe laffer l'un de l'autre. Les converfations particulieres fatiguent prefque toujours

quand elles font trop fréquentes, ou qu'elles font un peu longues.Quelque eftime & quelque affection qu'on ait pour un honnête homme, on s'ennuie infenfiblement de ne voir que lui, & de ne parler qu'à lui: on fent même, je ne fai comment, diminuer par-là les fentimens que fon mérite avoit fait naître; foit qu'on s'accoutume peu à peu à ce qui paroiffoit extraordinaire en fa perfonne; foit qu'à force de le pratiquer, on découvre en lui des défauts cachés qui rendent fes bonnes qualités moins eftimables. De forte que pour trouver tous les jours du plaifir dans nos entretiens comme nous y en trouvons, il faut néceffairement que notre amitié foit plus forte que ne font les amitiés ordinaires. C'eft-à-dire, ajouta Eugene, qu'il faut que nous foyions faits l'un pour l'autre, & qu'il y ait une étrange fympathie entre nos efprits.

Ce que vous dites eft bien vrai, reprit Arifte; & en mon particulier je fens fort ce que vous dites. L'ennui qui me prend dès que nous fommes féparés, la joie que me donnent nos plus longues converfations, le peu de

Nefcio quod

te mihi tem

cas que je fais des connoiffances nou-
velles, & le peu de foin que j'ai de
cultiver mes anciennes habitudes,
font apparemment des effets d'une
grande fympathie, & de ces inclina--
tions fecrettes qui nous font fentir
pour une perfonne je ne fai quoi, que
nous ne fentons point pour une autre.
De la maniere dont vous parlez
repliqua Eugene, vous avez la mine
de connoître auffi-bien la nature de
ce je ne fai quoi, que vous en ressen-
tez les effets. Il eft bien plus aifé de
le fentir de le connoître, repar-
que
tit Arifte. Ce ne feroit plus un je ne
fai quoi, fi l'on favoit ce que c'eft:
sa nature eft d'être incompréhensible
inexplicable.

&

Mais ne peut-on pas dire, reprit certè eft quod Eugene, que c'eft une influence des perat aftrum. aftres, & une impreffion fecrette de Perf. Sat. 5. l'afcendant fous lequel nous fommes

nés? On le peut dire fans doute, répondit Arifte, & on peut dire de plus que c'est le penchant & l'instinct du cœur; que c'est un très-exquis fentiment de l'ame pour un objet qui la touche ; une fympathie merveilleuse, & comme une parenté des cœurs, pour

ufer

ufer des termes d'un bel efpritEfpagnol, un parentefco de los coraçones.

Mais, en difant tout cela & mille autre chofes encore, on ne dit rien. Ces impreffions, ces penchans, ces inftincts, ces fentimens, ces fympathies, ces parentés font de beaux mots que les Savans ont inventés pour flater leur ignorance, & pour tromper les autres, après s'être trompés eux-mêmes. Un de nos Poëtes en a mieux parlé que tous les Philofophes: il décide la chofe en un mot.

Il eft des nœuds fecrets, il eft des
Sympathies,

Dont par le doux rapport les ames
afforties

S'attachent l'une à l'autre & fe

laiffent piquer

Par ces je ne fai quoi qu'on ne peut expliquer.

Quand cela feroit vrai du je ne fai quoi qu'on a pour les gens, & qu'on fent dans le fond du cœur, dit Eugene; cela ne le feroit peut-être pas de celui qui fe trouve dans les perfonnes qui plaifent, qui paroît fur le

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