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4.

A ce que je vois, dit Eugene ; Vous y trouvez quelque chofe de bien merveilleux. Ouï, fans doute, reprit Arifte. Cette immenfe étendue d'eaux ; ce flux & ce reflux le bruit, la couleur, les figures différentes de ces flots qui fe pouffent régulierement les uns les autres, ont je ne fçais quoi de fi furprenant & de fi étrange, que je ne fçache rien qui en approche. A force de voir les autres objets, on ceffe de les admirer; on s'y accoutume, on s'y apprivoife, pour parler ainfi. On ne regarde prefque plus le Soleil que quand il s'éclipfe, parce qu'on le voit tous les jours, & qu'après l'avoir une fois vû, on n'y découvre plus rien de nouveau. Il n'en est de même de la mer elle paroît toujours nouvelle, parcequ'elle n'eft jamais en un même état. Tantôt elle est tout-à-fait tranquille, & fes ondes font fi unies › qu'on la prendroit pour une eau dormante : tantôt elle est un peu émûe, comme la voilà maintenant. Il y a des heu

pas

tes qu'elle est étrangement agitée. Elle eft haute en un temps, & baffe en un autre. Quelquefois elle s'avance, & quelquefois elle fe retire. Elle change de couleur prefque à tout moment après une grande agitation elle est toute blanche d'écume; quand le Soleil fe leve ou fe couche, il femble qu'elle foit toute en feu. Tantôt elle paroît de couleur de pourpre, tantôt elle paroît verte ou bleue. Ces couleurs différentes fe mêlent quelquefois ensemble, & ce mêlange fait une peinture naturelle, que l'art ne peut imiter. Le bruit de fes flots n'eft quelquefois qu'un doux murmure, qui invite à rêver agréablement : mais c'eft auffi quelquefois un mugiffement épouvantable qu'on ne peut ouir fans frayeur. Vous fçavez ce qu'en a dit un de nos

Poëtes:

Tantôt l'onde, brouillant l'arene,
Murmure & frémit de courroux,
En fe roulant fur les cailloux
Qu'elle apporte & qu'elle rentraîne.

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En un mot, il y a tant de variétés dans le même objet, que les yeux ne fe laffent jamais de le voir, & que l'efprit y trouve toujours de quoi admirer.

Tout cela eft fort bien remarqué, dit Eugene ; & je demeure d'accord avec vous, qu'en quelque état que foit la mer, elle est toujours admirable. Mais dites-moi, je vous prie, en quel érat elle vous plaît davantage : l'aimez-vous plus dans le calme que dans l'agitation? A vous dire le vrai, répondit, Arifte, je n'ai encore rien décidé là-deffus mais pour peu que je me demande à moimême ce que j'en pense, je prendrai mon parti aifément ; & fans déliberer davantage, je fens bien déja que la mer me plaît beaucoup plus quand elle tranquille, que quand elle eft agitée.

Je ne fuis pas tout-à-fait de votre goût, reprit Eugene. Il me femble que la mer n'eft jamais fi belle que dans fa colere; lorfqu'elle s'enfle, qu'elle s'agite, qu'elle mugit

d'une maniere effroyable, & qu'il fe fait une espece de guerre entre les vents & les flots. Ces vagues qui s'entrechoquent avec tant d'impétuofité ; ces montagnes d'eau & d'écume, qui s'élevent & qui s'abaiffent tout d'un coup; ce bruit, ce défordre, ce fracas, tout cela infpire je ne fçais quelle horreur accompagnée de plaifir, & fait un fpectacle également terrible & agréable:

Bello in fi bella vista anco e l'horrore,
Et di mezo la tema efce il diletto.

Mais dans le calme il n'y a rien qui ne plaife, dit Arifte: tout y eft doux, tout y eft beau. C'est une douceur bien fade, repliqua Eugene, que ce calme qui vous plaît tant; & la beauté de la mer en cet état reffemble tout au plus à celle de ces perfonnes qui n'ont ni vivacité ni efprit. Je ne comprends pas, dit Arifte en fouriant, qu'un emportement de colere puiffe donner de la grace. Je pourrois vous ré

pondre, repartit Eugene, qu'il y a des perfonnes à qui un peu de colere ne fied pas mal. Mais quoi qu'il en foit, je foutiens toujours que la mer n'eft jamais plus belle que quand elle eft irritée : c'est alors qu'elle frappe les yeux, & qu'elle le fait regarder avec admira

tion.

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Eh quoi, interrompit Arifte n'eft-ce pas un beau fpectacle que cet élément, quand une profonde paix y regne fous un ciel ferein? & n'y a-t-il pas beaucoup de plaifir à promener fes regards fur une étendue fi vafte & fi unie? N'eft-ce pas encore une chofe trèsagréable, que de voir un navire bien équipé aller pompeufement fur les eaux comme un grand corps qui femble fe mouvoir de foi-même ? Mais auffi, dit Eugene, y a-t-il rien qui touche, & qui divertiffe même davantage, que de voir un navire fervir de jouet aux vents & aux vagues? Vous en parlez bien à votre aife,

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