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des bornes qu'elles ne paffent point. Cependant, étant limitées comme clles font, elles ne laiffent pas d'être longues à apprendre la vie eft trop courte pour en bien favoir une feule; & ce qu'il y a de fâcheux, c'est qu'on ne les apprend qu'avec peine. La carriere n'eft pas feulement longue & vafte; mais elle eft auffi raboteufe & pleine d'épines. Il y a beaucoup de difficultés à dévorer dans les fciences les plus aifées : les commencemens en font toujours difficiles ; & fi les fruits en font doux, les racines en font

ameres.

La Devife n'a rien de tout cela : au lieu d'être bornée comme les autres, elle a une étendue prefque infinie. Les objets de toutes les fciences & de tous les arts font en quelque façon de fon reffort; les ouvrages de tous les bons Auteurs en font auffi. Cependant elle eft courte parcequelle ne prend que le fin des chofes: elle choisit ce qu'il y a de plus rare dans la Nature, de plus précieux dans les Arts, de plus remarquable dans l'Hiftoire, & de plus exquis dans les Auteurs.

In araum

Ainfi, bien-loin de charger l'efprit de beaucoup de matieres, & de lui donner une nourriture qui l'accable; elle ne le nourrit que d'effences : elle fait à peu près pour l'efprit ce que font pour le corps ces Medecins habiles qui ont des voies abrégées pour guérir les maladies, qui favent excellemment l'art de diftiller les minéraux & les fimples, & qui donnent tous leurs remedes en grains & en gouttes. Elle imite auffi la Nature, qui a trouvé le fecret de renfermer de grandes coacta retun merveilles en de petites chofes. Car jeftas. les Devises font des abrégés, auffi- "Plin. lib. 37. bien que les pierreries, de ce qu'il y a de plus augufte dans le monde; elles ont, de même que les principes & les femences, beaucoup de vertu & peu de corps ; c'eft-à-dire, qu'elles nerat. Anicontiennent beaucoup de doctrine & mal l. 3.1.7. de fens en peu d'efpace, & qu'elles réduifent, pour ainfi parler, en petit volume les fciences & les livres; comme on réduit une groffe fomme en peu d'efpeces, & un tréfor en une pierre précieuse.

La fcience des Devifes eft courte encore, parcequ'elle inftruit en un

naturæ

Proxm.

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Aguda.

Αἰ γὰρ ἀρχας,

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Arift. de Ge

moment. Il ne faut que regarder pour apprendre une vûe fimple, mais une vue éclairée & pénétrante, eft toute la lecture & toute la méditation qu'elle demande. Enfin, c'eft une feience qu'on apprend avec plaifir: au lieu d'épines ce ne font que fleurs: c'eft moins une étude qu'un divertiffement & un jeu. Et c'eft proprement dans cette étude divertiffante & enjouée que s'accomplit à la lettre le précepte d'un Philofophe très-raisonnable, philofophando nugari, & nugando philofophari.

Tout ce qui entre dans la compofition de la Devife contribue à cela parfaitement. Les figures réjouiffent la vûe par leur diverfité & par leurs couleurs. Les mots qui animent les Figures, étant d'ordinaire des demivers, ont une cadence agréable qui flatte l'oreille: comme ils font fubtils, ils éveillent l'efprit, ils le furprennent & ils le touchent; mais, comme ils font courts, ils ne le fatiguent pas. Ainfi la fcience des Devifes emprunte les beautés de la Peinture & les charmes de la Poëfie, pour plaire davantage, & pour inftruire plus agréable

ment: fi bien que les Devifes, à les regarder de près, font des peintures animées de l'efprit des Mufes; des peintures qui parlent, & qui font fouvent de grands difcours en un mot. Quelqu'un a dit que les tableaux étoient les livres des ignorans : les tableaux dont nous parlons font les li vres des Savans, je dis des Savans déFicats que le College n'a point gâtés, & que le monde a polis.

Il ne fe peut rien de mieux imaginé que ce que vous dites, continua Eugene; & pour moi, fi j'avois à inftruire un jeune Prince, je voudrois le faire par la Devife. Je ferois peindre toutes les Devifes que les Princes ont portées, & celles qui ont été faites pour eux en diverfes rencontres. J'y ajouterois les Devifes des grands hommes, non feulement pour les faire connoître tous au jeune Prince mais encore pour l'animer à la verræ par leur exemple. Je ferois des Devifes fur tous les devoirs du Prince, tant à l'égard de Dieu, qu'à l'égard de fes fujets & de foi-même : par les anes & par les autres il apprendroit aifément & avec plaifir, non feule

ment la Morale & la Politique, mais encore l'Hiftoire héroïque & l'Hiftoire naturelle.

Mais la Devise nous fait oublier la pêche, interrompit Arifte en riant: nous ne fongeons pas qu'il eft temps. de nous approcher du Port, fi nous voulons voir pêcher cette nuit : les pêcheurs pourroient bien ne nous pas attendre. Après ces paroles, ils s'avancerent vers le Port; & y étant arrivés, ils fe mirent dans une barque qui étoit prête d'en fortir. Ils eurent pendant quelques heures le divertisfement & la fatigue de la pêche ; car ce n'eft pas un plaifir tout pur que de paffer la nuit fur la mer dans une barque incommode. Au retour de la pêche Arifte trouva des lettres, ou plutôt des ordres qui le rappelloient en France: de forte qu'il fut contraint de partir brufquement, & de dire adieu à fon ami & à la mer, dans un temps où il penfoit jouir de l'un & de l'autre.

FIN.

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