7 fe leverent; & voyant la mer retirée, ils tournerent leurs pas vers le port, dans le deffein d'y voir un vaiffeau nouvellement arrivé des Indes. En achevant leur promenade ils s'entretinrent des lieux où l'on trouve l'ambre gris, où l'on pêche les perles & le corail. Ils parlerent des Ifles que la Providence conferve au milieu de ces vaftes & profonds abîmes, pour la commodité des voyageurs. Ils parlerent auffi de l'Océan & de la mer Méditerranée ; des noms diffé; rens qu'on donne à l'un ou à l'autre, felon la diverfité de leurs côtes ou de leurs eaux. Ils n'oublierent pas la mer Glaciale, la mer Rouge, la mer Morte, la Mer Pacifique; & après avoir dit de tout cela ce qu'on a accoutumé d'en dire, ils conclurent qu'il n'y avoit rien de plus admirable dans la mer, que la mer même. 7 RISTE & Eugene fe trouverent fi bien de leur premiere converfation, qu'ils retournerent dès le lende main au bord de la mer. Après qu'ils fe furent un peu écartés d'une compagnie que le beau temps avoit attirée à la promenade, & qui étoit compofée des plus honnêtes gens de la ville; fi nous favions bien la langue du pays, dit Arifte > nous ne ferions pas fi folitaires que nous fommes. Un ami de votre forte, repliqua Eugene, vaut toutes les compagnies du monde : & pour moi, depuis que nous fommes enfemble, je ne me fuis point en core avifé de faire réflexion fur la langue du tude. pays, ni fur notre foli Ce que vous dites eft fort obligeant, repartit Arifte: mais après tout, ajoûta-t-il, c'eft une chofe affez fâcheufe que de ne favoir point la langue d'un pays où l'on doit vivre quelque temps. Car outre qu'on ne peut entrer dans les fociétés agréables, ni être d'aucune partie de divertiffement, on fe trouve à toute heure dans d'étranges embarras, faute de fe faire bien entendre, & d'entendre bien les autres. Les truchemens, dit Eugene, peuvent nous fervir en ces rencontres. Ne me parlez point de truchemens, répondit Arifte; ils ne font pas d'un fi grand fecours que vous penfez : la plupart de ces truchemens de profeffion ne favent prefque pas la langue des étrangers auxquels ils fervent d'interpretes : c'eft pitié de voir comme ils alterent & comme ils eftropient, fi j'ofe parler ainfi, les chofes qu'ils veulent faire entendre, & qu'ils m'entendent pas quelquefois euxmêmes. De plus, c'eft, ce me femble, une grande fujettion, que de ne parler jamais que par la bouche d'autrui; car, fi vous perdez un moment vorre interprete, il vaudroit autant que vous devinffiez tout d'un coup fourd & muet. Enfin, pour moi, comme je fuis toujours dans le deffein de voyager, fi j'avois quelque chofe à demander à Dieu pour la commodité de la vie, je crois que je lui demanderois le don des langues, ou du moins un peu du génie de ce Postel, fi renommé au fiecle paffé par la connoiffance des Langues, & qui fe vanta un jour, en préfence de Charles IX. de pouvoir aller fans truchement jufqu'au bout du monde. Toutes vos raifons, dit Eugene, ne me donneront pas l'envie d'apprendre le Flamandje laiffe à votre Docteur ces connoiffances infinies, qui l'ont fait paffer de fon temps: pour un prodige. Je craindrois, pourfuivit-il en riant, que fi je venois à Cy & parler tant de fortes de langues, on ne me prît dans le monde pour un poffédé. Au moins vous feriez bien aife, dit Arifte, que toutes les lan-gues fuffent réduites à une feule, & que tous les peuples s'entendiffent comme nous nous entendons comme ils s'entendoient autrefois.. Je n'en ferois pas fâché, fâché, répliqua Eugene pourvû que notre langue fût cette langue univerfelle, & que toute la terre parlât François. Vous avez raifon de prendre ce parti-là répondit Arifte car, parlant auffibien que vous faites, vous perdriez trop, fi l'on ne parloit plus qu'Allemand, ou bas Breton. Mais vous. n'avez rien à craindre de ce côtélà, ajoûta-t-il; vous devez plutôt espérer que vos fouhaits feront un jour accomplis. On parle déja François dans toutes les Cours de FEurope. Tous les Etrangers qui ont de l'efprit fe piquent de favoir le François ceux qui haïffent le plus notre nation aiment notre langue dans le pays où nous |