Imágenes de páginas
PDF
EPUB

fommes, les perfonnes de qualité en font une étude particuliere, jufqu'à négliger tout-à-fait leur langue naturelle, & à fe faire honneur de ne l'avoir jamais apprife. Les Dames de Bruxelles ne font pas moins curieufes de nos livres que de nos modes: le peuple même, tout peuple qu'il eft, eft en cela du goût des honnêtes gens; il apprend notre langue prefque auffiτότ que la fienne, comme par un inftinct fecret qui l'avertit malgré lui qu'il doit un jour obéir au Roi de France, comme à fon maître légitime.

C'est une chofe fort glorieufe a notre nation, dit Eugene, que la langue Françoife foit en vogue dans la capitale des Pays-Bas, avant que la domination Françoife y foit établie. La langue Latine a fuivi les: conquêtes des Romains; mais je ne vois pas qu'elle les ait jamais précédées. Les nations que ces conquérans avoient vaincues apprenoient le Latin malgré elles; au lieu

Bernardini
Parthenii

orat. pro lin. gua latina.

que les peuples qui ne font pas encore foumis à la France apprennent volontairement le François. La gloire du Roi y contribue peut-être autant que celle de fes prédéceffeurs. Les langues fuivent d'ordinaire la fortune & la réputation des Princes. Les heureux fuccès de Charles-Quint firent que de fon temps les beaux efprits d'Italie apprirent l'Espagnol; & les grandes qualités de François I. rendirent célebre la langue Françoife, lorfqu'elle étoit encore à demi barbare. Que doit faire préfentement pour une langue polie & parfaite la grandeur d'un Monarque comme le nôtre, qui réunit en fa perfonne le bonheur de Charles-Quint & le mérite de François Premier ?

Mais pour revenir à ce que je difois, reprit Arifte, il n'y a gueres de pays dans l'Europe où l'on n'entende le François ; & il ne s'en faut rien que je ne vous avoue maintenant que la connoiffance des

langues étrangeres n'eft pas beaucoup néceffaire à un François qui voyage. Où ne va-t-on point avec notre langue ? C'eft lui donner des bornes trop étroites que de la renfermer dans l'Europe, dit Eugene; elle a cours parmi les Sauvages de l'Amérique, & parmi les nations de l'Afie les plus civilifées. Une lettre écrite d'Ifpahan Lettres des porte en termes exprès que la pro- pays étran pofition qui a été faite depuis peur gers. pag. 8 au Roi de Perfe par les Ambaffadeurs de notre incomparable Monarque pour Fétabliffement du commerce entre ce Royaume - là & la France, fait que les Perfans étudient le François avec une ardeur incroyable. Je ne fais même files Chinois & les Japonois ne l'étudient pas auffi, depuis qu'il y a des François parmi eux. Quoi qu'il en foit, fi la langue François n'eft pas encore la langue detous les peuples du monde, il me femble qu'elle mérite de l'être. Car à la bien confidérer dans la perfe -

9"

tion où elle eft depuis plufieurs années, ne faut-il pas avouer qu'elle a quelque chofe de noble & d'augufte, qui l'égale prefque à la langue Latine, & la releve infiniment au deffus de l'Italienne & de l'Espagnole, les feules langues vivantes qui peuvent raifonnable

ment entrer en concurrence avec: elle ?

J'avois cru jufqu'à cette heure, interrompit Arifte, que la majesté étoit le caractere de la langue Caftillane. Croyez-moi, reprit Eugene, il y a bien à dire entre la majefté & le fafte, entre la fauffe & la véritable grandeur. Je tombe d'accord avec vous qu'il n'y a rien de plus pompeux que le Caftillan :: il n'a prefque pas un mot qui n'enfle la bouche, & qui ne rempliffe les oreilles. Il donne de grands noms aux petites chofes ; témoins fes Maravedis fes Pimpollos, fes Gufarapas, fes Relampagos, les PaTanquines, & mille autres mots de cette nature. Il femble que les Ef

pagnols parlent moins pour fe faire entendre, que pour fe faire admirer; tant leurs manieres de parler font hautes & magnifiques. Il ne faut qu'ouvrir leurs livres pour être perfuadé de ce que je dis J'en lifois un l'autre jour, qui débute par une expreffion merveilleufe: Que el Heroe platique incom-prehenfibilidades de caudal.. Cet incomprehenfibilidades fonne bien haut : cela fignifie en bon François, qu'un fage Prince doit fe conduire de forte que perfonne ne le pénetre.. L'Auteur Espagnol pourfuit fur le même ton ; & pour dire que c'est une grande habileté de fe faire connoître fans fe laiffer comprendre, il s'exprime ainfi : Gran treta en el arte de entendidos oftentarse at conocimiento, pero nota la comprehenfion. Y a-t-il, à votre avis, de la grandeur & de la majefté à tout cela ? La noblesse d'une langue dépend-elle précisément du nombre des fyllabes, & de l'enflure des paroles 2 Eft-on de plus belle taille:

« AnteriorContinuar »