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yous y mettre aussi. Jetons auparavant par la fenêtre les morceaux de la fiole brisée, afin que l'enchanteur ne s'aperçoive pas de mon élargissement.

Quand il s'en apercevrait après notre départ, dit Zambullo, qu'en arriverait-il?

· Ce qu'il en arriverait ? répondit le boiteux; il paraît bien que vous n'avez pas lu le livre De la Contrainte. Quand j'irais me cacher aux extrémités de la terre ou de la région qu'habitent les salamandres enflammées; quand je descendrais chez les gnomes ou dans les plus profonds abîmes des mers, je n'y serais point à couvert de son ressentiment. Il ferait des conjurations si fortes que tout l'enfer en tremblerait. J'aurais beau vouloir lui désobéir, je serais obligé de paraître malgré moi devant lui, pour subir la peine qu'il voudrait m'imposer.

Cela étant, reprit l'écolier, je crains fort que notre liaison ne soit pas de longue durée: ce redoutable nécromancien découvrira bientôt votre fuite.

C'est ce que je ne sais point, répliqua l'esprit, parce que nous ne savons pas ce qui doit arriver.

Comment, s'écria Leandro Perez, les démons ignorent l'avenir ?

- Assurément, repartit le Diable; les personnes qui se fient à nous là-dessus sont de grandes dupes. C'est ce qui fait que les devins

et les devineresses disent tant de sottises, et en font tant faire aux femmes de qualité qui vont les consulter sur les événements futurs. Nous ne savons que le passé et le présent. J'ignore donc si le magicien s'apercevra bientôt de mon absence; mais j'espère que non. Il y a ici plusieurs fioles semblables à celle où j'étais enfermé; il ne soupçonnera pas qu'elle y manque. Je vous dirai de plus que je suis dans mon laboratoire comme un livre de droit dans la bibliothèque d'un financier: il ne pense point à moi; et, quand il y penserait, il ne me fait jamais l'honneur de m'entretenir: c'est le plus fier enchanteur que je connaisse. Depuis le temps qu'il me tient prisonnier, il n'a pas daigné me parler une seule fois.

-Quel homme! dit don Cléophas. Qu'avezvous donc fait pour vous attirer sa haine?

J'ai traversé un de ses desseins, repartit Asmodée. Il y avait une place vacante dans certaine académie: il prétendait qu'un de ses amis l'eût; je voulais la faire donner à un autre: le magicien fit un talisman composé des plus puissants caractères de la cabale; moi, je mis mon homme au service d'un grand ministre, dont le nom l'emporta sur le talisman.

Après avoir parlé de cette sorte, le démon ramassa toutes les pièces de la fiole cassée et les jeta par la fenêtre.

Seigneur Zambullo, dit-il ensuite à l'écolier, sauvons-nous au plus vite prenez le bout de mon manteau, et ne craignez rien.

Quelque périlleux que parût ce parti à don Cléophas, il aima mieux l'accepter que de demeurer exposé au ressentiment du magicien; et il s'accrocha le mieux qu'il pût au Diable, qui l'emporta dans le moment.

III.-Dans quel endroit le Diable boiteux transporta l'écolier, et des premières choses qu'il lui fit voir.

Asmodée n'avait pas vanté sans raison son agilité. Il fendit l'air comme une flèche décochée avec violence, et s'alla percher sur la tour de San-Salvador. Dès qu'il y eut pris pied il dit à son compagnon:

Eh bien! seigneur Leandro, quand on dit d'une rude voiture que c'est une voiture de diable, n'est-il pas vrai que cette façon de parler est fausse?

Je viens d'en vérifier la fausseté, répondit poliment Zambullo. Je puis assurer que c'est une voiture plus douce qu'une litière, et avec cela si diligente, qu'on n'a pas le temps de s'ennuyer sur la route.

Oh ça, reprit le démon, vous ne savez pas pourquoi je vous amène ici : je prétends vous montrer tout ce qui se passe dans Madrid; et comme je veux débuter par ce quartier-ci, je ne pouvais choisir un endroit plus

propre à l'exécution de mon dessein. Je vais, par mon pouvoir diabolique, enlever les toits des maisons: et malgré les ténèbre de la nuit, le dedans va s'ouvrir à vos yeux.

A ces mots, il ne fit simplement qu'étendre le bras droit, et aussitôt tous les toits disparurent. Alors l'écolier vit comme en plein midi, l'intérieur des maisons, de même, dit Luis Velez de Guevara, qu'on voit le dedans d'un pâté dont on vient d'ôter la croûte. Le spectacle était trop nouveau pour ne pas attirer son attention tout entière. Il promena sa vue de toutes parts, et la diversité des choses qui l'environnaient eut de quoi occuper longtemps sa curiosité.

-Seigneur don Cléophas, lui dit le Diable, cette confusion d'objets que vous regardez avec tant de plaisir est, à la vérité, très agréable à contempler; mais ce n'est qu'un amusement frivole. Il faut que je vous le rende utile; et, pour vous donner une parfaite connaissance de la vie humaine, je veux vous expliquer ce que font toutes ces personnes que vous voyez. Je vais vous découvrir les motifs de leurs actions, et vous révéler jusqu'à leurs plus secrètes pensées. Par où commençons-nous? Observons d'abord, dans cette maison à ma droite, ce vieillard qui compte de l'or et de l'argent c'est un bourgeois avare. Son carrosse, qu'il a eu presque pour rien à l'inventaire d'un alcade

de Corte, est tiré par deux mauvaises mules qui sont dans son écurie, et qu'il nourrit suivant la loi des Douze Tables, c'est-à-dire qu'il leur donne tous les jours, à chacune, une livre d'orge; il les traite comme les Romains traitaient leurs esclaves. Il y a deux ans qu'il est revenu des Indes, chargé d'une grande quantité de lingots qu'il a changés en espèces. Admirez ce vieux fou; avec quelle satisfaction il parcourt des yeux ses richesses! il ne peut s'en rassasier. Mais prenez garde en même temps à ce qui se passe dans une petite salle de la même maison. Y remarquez-vous deux Jeunes garçons avec une vieille femme?

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Oui, répondit Cléophas. Ce sont apparemment ses enfants?

Non, répondit le Diable, ce sont ses neveux qui doivent en hériter, et qui, dans l'impatience où ils sont de partager ses dépouilles, ont fait venir secrètement une sorcière pour savoir d'elle quand il mourra.

J'aperçois dans la maison voisine deux tableaux assez plaisants. L'un est une coquette surannée qui se couche après avoir laissé ses cheveux, ses sourcils et ses dents sur sa toilette; l'autre, un galant sexagénaire qui revient de faire l'amour. Il a déjà ôté son œil et sa moustache postiches, avec sa perruque qui cachait une tête chauve. fl attend que son valet lui ôte son bras et sa jambe de bois, pour se mettre au lit avec le reste.

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