Imágenes de páginas
PDF
EPUB

tient qu'aux Maîtres de bien juger des fineffes d'un art; & il faut avoir fait de grands progrès dans la fageffe,pour fentir tout le mérite d'un Sage. Mais autant que je puis m'y connoître, tant de rares qualités brillent dans Euphrate, qu'elles frappent les moins clairvoyants. Il eft fubtil, folide & fleuri dans la difpute; & quand il luy plaît, perfonne n'atteint mieux au fublime de Platon, & n'en fait mieux re vivre le vafte génie. On voit regner dans fes difcours la richeffe des expreffions,la variété des tours, & fur tout, une douce violence qui ébranle & qui emporte les plus opiniâtres. Son extérieur ne dément point le refte: il eft de belle taille; il a le vifage agréable, les cheveux longs, & une très-longue barbe route blanche. Vous ne pouvez vous imaginer combien ces dehors, tout indifférents qu'ils

paroiffent, luy attirent de vénération. Ses habits font propres, fans affectation. Son air eft férieux fans être chagrin. Son abord inf pire le refpect, fans imprimer la crainte. Son extrême politeffe égale la pureté de fes moeurs. Il fait la guerre aux vices, & non pas aux hommes. Il ramene ceux qui s'égarent, & ne leur infulte point. On eft fi charmé de l'entendre qu'après même qu'il vous a perfuadé, vous voudriez qu'il eût à vous perfuader encore. Trois enfants compofent fa famille. Il a deux fils, & il n'oublie rien pour leur éducation. Julien fon beaupere tient le premier rang dans fa Province. C'eft un homme recommandable par mille endroits; & principalement par la préférence que, dans le choix d'un gendre, il a donnée à la feule vertu fur la naiffance & fur la fortune. Mais il

faut que je n'aime guére mon repos, quand je m'étends fi fort fur les louanges d'un ami, qui eft comme perdu pour moy. Ay-je donc peur de ne point fentir affez ma perte? Malheureufe victime d'un emploi, qui, tout important qu'il eft, me paroît encore plus fâcheux, je paffe ma vie à écouter, à juger des Plaideurs, à répondre des Requêtes, à faire des Reglements, à écrire un grand nombre de Lettres, mais où les Belles-lettres n'ont guére de part. Je m'en plains quelquefois fort férieufement à Euphrate; c'est tout ce que je puis.. Il effaye de me confoler. Il m'af füre que la plus noble fonction de la Philofophie, c'eft de confa crer fes travaux aux intérêts publics; c'eft de faire regner la juftice & la paix parmi les hommes ; & que c'eft la mettre en œuvre Jes maximes des Philofophes. Je

yous l'avoue, c'eft le feul point où fon éloquence ne me perfuade pas. Je fuis encore à comprendre, que de femblables occupations puiffent valoir le plaifir de l'écouter continuellement, & de l'étudier. Voulez-vous que je vous parle en ami? Vous qui en avez le temps, revenez promptement à Rome; & dès que vous y ferez hâtez-vous de mettre votre efprit fous une fi douce lime. Vous voyez que je ne reffemble pas à la plupart des hommes, qui envient aux autres les avantages qu'ils ne peuvent avoir eux-même. Au contraire, je crois jouir des biens que je n'ay pas, quand je fçais que mes amis en joüiffent. Adieu..

D'

LETTRE XI.

A Fabius Juftus.

EPUIS long-temps je n'ay reçû de vos nouvelles. Vous n'avez rien à m'écrire, dites-vous: eh bien, écrivez-le-moy, que vous n'avez rien à m'écrire. Du moins écrivez-moy ce que vos ancêtres avoient coûtume de mettre au commencement de leurs Lettres : Si vous vous portez bien, j'en fuis bien aife; quant à moy, je me porte fort bien. Je vous quitte du refte, car cela dit tout. Vous croyez que je badine: non, je parle très-férieusement. Mandez - moy comment vous paffez votre temps; je fouffre trop à ne le pas fçavoir,

Adieu.

« AnteriorContinuar »