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ce devoir, fi l'on fe pique d'être court? C'est tout ce qu'on pourroit faire dans les caufes d'une très-petite importance. J'ajoûte ce que je tiens d'un long ufage, le plus für de tous les Maîtres: J'ai fouvent rempli les fonctions d'Avocat & de Juge; on m'a confulté fouvent ; & j'ay toûjours éprouvé que celuy-cy étoit frappé d'une raifon, & celuy-là d'une autre: que ce qui paroît un rien, avoit quelquefois de grandes fuites. Les difpofitions de l'efprit, les affections du cœur font fi différentes dans ·les hommes, qu'il eft ordinaire de les voir de différents avis fur une queftion que l'on vient d'agiter devant eux; & s'il leur arrive de s'accorder, c'eft prefque toûjours par différents motifs. D'ailleurs on s'entête de ce qu'on a foymême pensé; & lorfque la raison qu'on a prévûë eft propofée par

un autre, on y attache irrévocablement la décifion. Il faut donc donner à chacun quelque chofe qui foit de fa portée & de fon goût. Un jour que Regulus & moy défendions le même Client, il me dit: Vous vous imaginez qu'il faut tout relever, tout faire valoir dans une caufe; moy, je prends d'abord mon ennemi à la gorge, je l'étran gle. Il preffe effectivement l'endroit qu'il faifit: mais il fe trompe souvent dans le choix qu'il fait. Ne pourroit-il point arriver, luy répondis-je, que vous priffiez quelquefois le genou, la jambe, ou même le talon,pour la gorge? Moy, qui ne fuis pas fi für de faifir la gorge, je faifis tout ce qui fe préfente, de peur de m'y tromper. Je mets tout en œuvre je fais valoir ma caufe, comme on fait valoir une ferme. On n'en cultive pas feulement les vignes; on

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T

y prend foin des moindres arbriffeaux, on en laboure les terres. Dans ces terres, on ne fe contente pas de femer du froment; on y Teme de l'orge, des fêves, & de toute forte d'autres légumes. Je jette auffi à pleines mains dans ma caufe des faits, des raifonnements de toute efpéce, pour en recueillir ce qui pourra venir à bien. Il n'y a pas plus de fond à faire sur la certitude des jugements, que fur la conftance des saisons, & fur la fertilité des terres. Je me fouviens toûjours qu'Eupolis, dans une de fes Comédies, donne cette loüange à Periclès:

La Déeffe des Orateurs

Sur fes lévres fait fa demeure;

Et par luy laiffe dans les cœurs

L'aiguillon, dont un autre à peine les effleure.

Mais fans cette heureuse abon

dance qui me charme, Periclès eût-il exercé cet empire fouverain fur les cœurs, foit par la rapidité, foit par la briéveté de fon difcours (car il ne faut pas les confondre), ou par toutes les deux ensemble? Plaire & convaincre, s'infinuer dans les efprits & s'en rendre maî

tre

ce n'eft pas l'ouvrage d'une

parole & d'un moment. Mais comment y laiffer l'aiguillon, fi l'on pique fans enfoncer? Un autre Poëte Comique*, lorsqu'il parle du même Orateur, dit :

Il tonnoit, foudroyoit, & renverfoit la Grece. Quand il faut mêler le feu des éclairs aux éclats du tonnerre ébranler, renverfer, détruire; il n'appartient pas à un discours concis & ferré, de faire comparaifon avec un difcours foutenu, majeftueux & fublime. Il y a pourtant une jufte mesure, je l'avoue. Mais à Ariftophane.

*

votre

votre avis, celuy qui ne la remplit pas, eft-il plus eftimable que celuy qui la paffe? Vaut-il mieux ne pas dire affez, que de trop dire? On reproche tous les jours à cet Orateur d'être ftérile & languiffant; on reproche à cet autre d'être fertile & vif à l'excès. On dit de celuycy qu'il s'emporte au-delà de fon fujet; on dit de celuy-là qu'il n'y peut atteindre. Tous deux péchent également; mais l'un a trop de force, & l'autre en manque. Si cette fécondité ne marque pas tant de jufteffe, elle marque en récompenfe beaucoup plus d'étenduë dans l'efprit. Quand je parle ainfi, je n'approuve pas ce difcoureur fans fin, que peint Homere; mais plûtôt celuy dont les paroles fe précipitent en abondance,

Telles qu'en plein hyver on voit tomber la neige.

Ce n'eft pas que je n'aye tout
Tom. I.

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