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pardonnable à un Philosophe, qui ne connoiffoit gueres d'autre récompenfe de la vertu. Cependant on ne peut s'imaginer jufqu'où notre Auteur porte fa délicateffe fur ce point. Il découvre dans une de fes Lettres * le fond de fon ame, à l'occafion d'un difcours, où il avoit été obligé de dire du bien de fes ayeux & de luymême. Il y fait voir tant de timidité, de modestie & de

fageffe, que Montagne eût mieux parlé, s'il eût bien lû

cette Lettre.

Pour moy, puifqu'il faut

*Lettre 8, Liv. 1.

que je paye le tribut de préference, que tout Traducteur doit à fon original (car de quel droit m'en affranchir), je ne feindrai point de le dire: Peut-êtrequ'ail – leurs on trouvera un génie plus naturel & plus facile; mais nulle autre part, l'on ne rencontrera tant de mœurs.

Si ce n'eft pas ce que la plupart des Lecteurs cherchent dans des Lettres, c'eft du moins ce qu'ils devroient y chercher. Les leçons de morale débitées dans les livres, où les vertus font traitées par chapitres, & démon

trées par regles, ont ordinairement le fort, ou de dé goûter par la féchereffe du dogme, ou de ne toucher que légerement des efprits qui fe tiennent fur leurs gardes.

Les Lettres feules ont le privilege d'infinuer dans le cœur, avant même qu'il s'en apperçoive, les fentiments qu'elles expofent. On s'y fa miliarife infenfiblement avec les vertus que l'on y voit chacune à fa place, chacu ne appliquée à fon ufage. Charmez de les retrouver dans l'exercice continuel des plus communs devoirs de la

vie civile, nous revenons de l'erreur qui nous les repréfentoit auparavant comme les idées & les chimeres des fages, ou comme les irréconciliables ennemies de la

nature. Le peu qu'elles paroiffent avoir coûté, infpire la hardieffe d'y prétendre & l'efperance d'y parvenir. On ne fe contente plus d'admi rer ce que l'on croyoit inimitable: on se sent piqué d'une noble émulation d'imiter ce qu'on admire. Tel eft l'effet le plus or dinaire des Lettres de Pline. On ne peut, quand on les lit, ne le pas eftimer, ne le pås

aimer. On fent un défir fecret de luy reffembler. Vous ne voyez par tout que can

deur, que défintereffement, que reconnoiffance, que frugalité, que modeftie, que fidelité pour fes amis à l'épreuve de la difgrace & de la mort même; enfin qu'horreur pour le vice, & paffion pour la vertu.

J'ay donc crû que l'on ne pouvoit trop mettre entre les mains de tout le monde, ce qui peut être utile à tout le monde. Pline, dans les premiers rangs du Barreau, de la Magistrature & de la Cour, nous montre que l'on

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