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bien fortifié cette première impression, qu'au lieu de vouloir vous cacher mes ennuis, je cherche à m'épancher, et trouve une douceur secrète à vous découvrir mon âme: apprenez donc mes malheurs.

Tolède m'a vu naître, et don Juan de Zarate est mon nom. J'ai perdu, presque dès mon enfance, ceux qui m'ont donné le jour; de manière que je commençai de bonne heure à jouir de quatre mille ducats de rente qu'ils m'ont laissés. Comme je pouvais disposer de ma main, et que je me croyais assez riche pour ne devoir consulter que mon cœur dans le choix que je ferais d'une femme, j'épousai une fille d'une beauté parfaite, sans m'arrêter au peu de biens qu'elle avait, ni à l'inégalité de nos conditions. J'étais charmé de mon bonheur; et, pour mieux goûter le plaisir de posséder une personne que j'aimais, je la menai, peu de jours après mon mariage, à une terre que j'ai à quelques lieues de Tolède.

Nous y vivions tous deux dans une union charmante, lorsque le duc de Naxéra, dont le chateau est dans le voisinage de ma terre, vint, un jour qu'il chassait, se rafraîchir chez moi. Il vit ma femme, et en devint amoureux je le crus du moins, et ce qui acheva de me le persuader, c'est qu'il rechercha bientôt mon amitié avec empressement; ce qu'il avait jusque là fort négligé. Il me mit de ses parties de chasse, me fit force présents, et encore plus d'offres de services.

Je fus d'abord alarmé de sa passion ; je pensai

retourner à Tolède avec mon épouse, et le ciel sans doute m'inspirait cette pensée. Effectivement, si j'eusse ôté au duc toutes les occasions de voir ma femme, j'aurais évité tous les malheurs qui me sont arrivés; mais la confiance que j'avais en elle me rassura. Il me parur qu'il n'était pas possible qu'une personne que j'avais épousée sans dot et tirée d'un état obscur fût assez ingrate pour oublier mes bontés. Hélas! que je la connaissais mal! L'ambition et la vanité, qui sont deux choses si naturelles aux femmes, étaient les plus grands défauts de la mienne.

Dès que le duc eut trouvé moyen de lui apprendre ses sentiments, elle se sut bon gré d'avoir fait une conquête si importante. L'attachement d'un homme que l'on traitait d'excellence chatouilla son orgueil et

esprit de fastueuses chimères: ellmplit son

s'en estima' davantage et m'en aima moins, Ce que j'avais fait pour elle, au lieu d'exciter sa reconnaissance, ne fit plus que m'attirer ses mépris: elle me regarda comme un mari indigne de sa beauté, et il lui sembla que, si ce grand seigneur, qui était épris de ses charmes, l'eût vue avant son mariage, il n'aurait pas manqué de l'épouser. Enivrée de ces folles idées, et séduite par quelques présents qui la flattaient, elle se rendit aux secrets empressements du duc.

Ils s'écrivaient assez souvent et je n'avais pas le moindre soupçon de leur intelligence; mais enfin je fus assez malheureux pour sortir

de mon aveuglement. Un jour je revins de la chasse de meilleure heure qu'à l'ordinaire. J'entrai dans l'appartement de ma femme: elle ne m'attendait pas sitôt : elle venait de recevoir une lettre du duc, et se préparait à lui faire réponse. Elle ne put cacher son trouble à ma vue j'en frémis, et, voyant sur une table du papier et de l'encre, je jugeai qu'elle me trahissait. Je la pressai de me montrer ce qu'elle écrivait; mais elle s'en défendit, de sorte que je fus obligé d'employer jusqu'à la violence pour satisfaire ma jalouse curiosité. Je tirai de son sein, malgré toute sa résistance, une lettre qui contenait ces paroles :

Languirai-je toujours dans l'attente d'une > seconde entrevue? Que vous êtes cruelle de > me donner les plus douces espérances, et de >tant tarder à les remplir! Don Juan va tous les >> jours à la chasse ou à Tolède; ne devrions

nous pas profiter de ces occasions? Ayez plus » d'égard à la vive ardeur qui me consume. » Plaignez-moi, madame: songez que si c'est » un plaisir d'obtenir ce qu'on désire, c'est un tourment d'en attendre long-temps la possession. »

Je ne pus achever de lire ce billet sans être transporté de rage: je mis la main sur ma dague, et, dans mon premier mouvement, je fus tenté d'ûter la vie à l'infidèle épouse qui m'ôtait l'honneur; mais, faisant réflexion que c'était me venger à demi, et que mon ressentiment deman dait encore une autre victime, je me rendis

maitre de ma fureur: je dissimulai; je dis à ma femme avec le moins d'agitation qu'il me fut possible; Madame, vous avez eu tort d'écouter Le duc l'éclat de son rang ne devait point vous éblouir; mais les jeunes personnes aiment le faste je veux croire que c'est là tout votre crime, `et que vous ne m'avez point fait le dernier outrage c'est pourquoi j'excuse votre indiscrétion, pourvu que vous rentriez dans votre devoir, et que désormais, sensible à ma seule tendresse, vous ne songiez qu'à la mériter.

Après lui avoir tenu ce discours, je sortis de son appartement, autant pour la laisser se remettre du trouble où étaient ses esprits que pour chercher la solitude dont j'avais besoin moimême pour calmer la colère qui m'enflammait. Si je ne pus reprendre ma tranquillité, j'affectai du moins un air tranquille pendant deux jours; et le troisième, feignant d'avoir à Tolède une affaire de la dernière conséquence, je dis à ma femme que j'étais obligé de la quitter pour quelque temps, et que je la priais d'avoir soin de sa gloire pendant mon absence. aban

Je partis; mais au lieu de continuer mon chemin vers Tolède, je revins secrètement chez moi à l'entrée de la nuit, et me cachai dans la chambre d'un domestique fidèle, d'où je pouvais tout ce qui entrait dans ma maison. Je his point que le duc n'eût été informé de mon départ, et je m'imaginais qu'il ne manquerait pas de vouloir profiter de la conjoncture: j'espérais les surprendre ensemble; je me promettais une entière vengeance.

et

Néanmoins je fus trompé dans mon attente: loin de remarquer qu'on se disposât au logis à recevoir un galant, je m'aperçus au contraire que l'on fermait les portes avec exactitude trois jours s'étant écoulés sans que le duc eût paru, ni même aucun de ses gens, je me persuadai que mon épouse s'était repentie de sa faute, et qu'elle avait enfin rompu tout commerce avec

son amant.

Prévenu de cette opinion, je perdis le désir de me venger, et, me livrant aux mouvements d'un amour que la colère avait suspendu, je courus à l'appartement de ma femme je l'embrassai avec transport, et lui dis: Madame, je vous rends mon estime et mon amitié. Je vous avoue que je n'ai point été à Tolède : j'ai feint ce voyage pour vous éprouver. Vous devez pardonner ce piége à un mari dont la jalousie n'était pas sans fondement je craignais que votre esprit, séduit par de superbes illusions, ne fût pas capable de se détromper; mais, grâces au ciel, vous avez reconnu votre erreur, et j'espère que rien ne troublera plus notre union.

Ma femme me parut touchée de ces paroles, et laissant couler quelques pleurs: Que je suis malheureuse, s'écria-t-elle, de vous avoir donné sujet de soupçonner ma fidélité ! J'ai beau détester ce qui vous a si justement irrité contre moi; mes yeux, depuis deux jours, sont vainement ouverts aux larmes; toute ma douleur, tous mes remords sont inutiles, je ne regagnerai jamais votre confiance. Je vous la redonne ma

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