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Oui, madame, répliqua-t-il d'un ton ferme : un ami tel que Mendoce a plus de pouvoir sur moi que vous ne pensez. S'il vous était possible de concevoir toute la tendresse, toute la force de notre amitié, que vous me trouveriez à plaindre! Don Fadrique n'a rien de caché pour moi; mes intérêts sont devenus les siens: les moindres choses qui me regardent ne s'auraient échapper à son attention; ou, pour tout dire en un mot, je partage son âme avec vous.

Ah! si vous vouliez que je profitasse de vos bontés, il fallait me les laisser voir avant que j'eusse formé les nœuds d'une amitié si forte. Charmé du bonheur de vous plaire, je n'aurais alors regardé Mendoce que comme un rival: mon cœur, en garde contre l'affection qu'il me marquait, n'y aurait pas répondu, et je ne lui devrais pas aujourd'hui tout ce que je lui dois. Mais, madame, il n'est plus temps: j'ai reçu tous les services qu'il a voulu me rendre ; j'ai suivi le penchant que j'avais pour lui: la reconnaissance et l'inclination me lient, et me réduisent enfin à la cruelle nécessité de renoncer au sort glorieux que vous me présentez.

En cet endroit, dona Théodora, qui avait les yeux couverts de larmes, prit son mouchoir pour s'essuyer. Cette action troubla le Tolédan: il sentit chanceler sa constance; il commençait à ne répondre plus de rien. Adieu, madame, continua-t-il d'une voix entrecoupée de soupirs, adieu; il faut vous fuir pour sauver ma vertu; je ne puis soutenir vos pleurs, ils vous rendent

trop redoutable. Je vais m'éloigner de vous pour jamais, et pleurer la perte de tant de charmes que mon inexorable amitié veut que je lui sacrifie. En achevant ces paroles, il se retira avec un reste de fermeté quil n'avait pas peu de peine à

conserver.

Après son départ, la veuve de Cifuentes fut agitée de mille mouvements confus: elle eut honte de s'être déclarée à un homme qu'elle n'avait pu retenir. Mais, ne pouvant douter qu'il ne fût fortement épris, et que le seul inté rêt d'un ami ne lui fit refuser la main qu'elle lui offrait, elle fut assez raisonnable pour admirer un sì rare effort d'amitié, au lieu de s'en offenser. Néanmoins, comme on ne saurait s'empêcher de s'affliger quand les choses n'ont pas le succès que l'on désire, elle résolut d'aller dès le lendemain à la campagne pour dissiper ses chagrins, ou plutôt pour les augmenter: car la solitude est plus propre à fortifier l'amour qu'à l'affaiblir.

Don Juan, de son côté, n'ayant pas trouvé Mendoce au logis, s'était enfermé dans son appartement pour s'abandonner en liberté à sa douleur; après ce qu'il avait fait en faveur d'un ami, il crut qu'il lui était permis du moins d'en soupirer. Mais don Fadrique vint bientôt interrompre sa rêverie; et, jugeant à son visage qu'il était indisposé, il en témoigna tant d'inquiétude, que don Juan, pour le rassurer, fut obligé de lui dire qu'il n'avait besoin que de repos. Mendoce sortit aussitôt pour le laisser reposer;

mais il sortit d'un air si triste, que le Tolédan en sentit plus vivement son infortune. O ciel! dit-il en lui-même, pourquoi faut-il que la plus tendre amitié du monde fasse tout le mallreur de ma vie !

Le jour suivant, don Fadrique n'était pas encore levé, qu'on le vint avertir que dona Théodora était partie, avec tous ses domesti ques, pour son château de Villaréal, et qu'il y avait apparence qu'elle n'en reviendrait pas sitôt. Cette nouvelle le chagrina, moins à cause des peines que fait souffrir l'éloignement d'un objet aimé que parce qu'on lui avait fait mystère de ce départ. Sans savoir ce qu'il en devait penser, il en conçut un funeste présage.

Il se leva pour aller voir son ami, tant pour l'entretenir là-dessus que pour apprendre l'état de sa santé. Mais comme il achevait de s'habiller, don Juan entra dans sa chambre en lui disant: Je viens dissiper l'inquiétude que je yous cause: je me porte assez bien aujourd'hui. Cette bonne nouvelle, répondit Mendoce, me console un peu de la mauvaise que j'ai reçue. Le Tolédan demanda quelle était cette mauvaise nouvelle; et don Fadrique, après avoir fait sortir ses gens, lui dit: Dona Théodora est partie ce matin pour la campagne, où l'on croit qu'elle sera long-temps. Ce départ m'étonne: pourquoi me l'a-t-on caché? Qu'en pensez-vous, don Juan ? N'ai-je pas raison d'être alarmé ??

Zarate se garda bien de lui dire sur cela sa pensée, et tacha de lui persuader que dona

Théodora pouvait être allée à la campagne sans qu'il eût sujet de s'en effrayer. Mais Mendoce, peu content des raisons que son ami employait pour le e rassurer, l'interrompit: Tous ces discours, dit-il, ne sauraient dissiper le soupçon que j'ai conçu; j'aurai fait peut être imprudemment quelque chose qui aura déplu à dona Théodora. Pour m'en punir, elle me quitte, sans daigner seulement m'apprendre mon crime.

Quoi qu'il en soit, je ne puis demeurer plus long-temps dans l'incertitude, Allons, don Juan, allons la trouver; je vais faire préparer des chevaux. Je vous conseille, lui dit le Tolédan, de ne mener personne avec vous: tet éclaircissement se doit faire sans témoins. Don Juan ne saurait être de trop, reprit don Fadrique, dona Théodora n'ignore point que vous savez tout ce qui se passe dans mon cœur : elle vous estime; et, loin de m'embarrasser, vous m'aiderez à l'apaiser en ma faveur.

Non don Fadrique, répliqua-t-il, ma présence ne peut vous être utile. Partez tout seul, je Vous en conjure, Non, mon cher don Juan, repartit Mendoce, nous irons ensemble : j'attends cette complaisance de votre amitié. Quelle tyrannie! s'écria le Tolédan d'un air chagrin. Pourquoi exigez-vous de mon amitié ce qu'ello ne doit pas vous accorder?

Ces paroles, que don Fadrique ne comprenait pas, et le ton brusque dont elles avaient été prononcées, le surprirent étrangement. Il regarda son ami avec attention: Don Juan

Juan, lui

dit-il, que signifle ce que je viens d'entendre ? Quel affreux soupçon naît dans mon esprit ! Ah! c'est trop vous contraindre et me gêner; parlez: qui cause la répugnance que vous marquez à m'accompagner?

de

Je voulais vous le cacher, répondit le Tolédan; mais, puisque vous m'avez forcé vousmême à le laisser paraître, il ne faut plus que je dissimule: cessons, mon cher don Fadrique, nous applaudir de la conformité de nos affec tions, elle n'est que trop parfaite : les traits qui vous ont blessé n'ont point épargné votre ami. Dona Théodora........ Vous seriez mon rival! interrompit Mendoce en pâlissant. Dès que j'ai connu mon amour, repartit don Juan, je l'ai combattu. J'ai fui constamment la veuve de Cifuentes, vous le savez vous m'en avez vousmême fait reproche: je triomphais du moins de ma passion, si je ne pouvais la détruire.

Mais hier cette dame me fit dire qu'elle souhaitait de me parler chez elle. Je m'y rendis. Elle me demanda pourquoi je semblais vouloir l'éviter. J'inventai des excuses; elle les rejeta. Enfin je fus obligé de lui en découvrir la véritable cause. Je crus qu'après cette déclaration elle approuverait le dessein que j'avais de la fuir; mais, par un bizarre effet de mon étoile, vous le dirai-je ? Oui, Mendoce, je dois vous le dire, je trouvai Théodora prévenue pour moi.

Quoique don Fadrique eût l'esprit du monde le plus doux et le plus raisonnable, il fut saisi d'un mouvement de fureur à ce discours; et

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