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grand Grec, ainfi nommé par excellence & d'une voix unanime, font rares dans tous les cabinets, & femblent n'être faits que pour l'ornement du Palais des Princes, fur-tout quand ils font d'une certaine étendue. Les foins, les recherches & les dépenfes procurent à peine aux Particuliers quelques monumens peu confidérables: encore doivent-ils s'eftimer heureux de les pofféder, tout mutilés qu'ils fe trouvent. On ne peut même guère efpérer d'en acquérir, parce que l'on exécute avec févérité les ordres de n'en point laiffer fortir de Rome, qui en eft la fource la plus intariffable. Loin de blâmer les Italiens, nous devons encore leur fçavoir gré de veiller à la confervation de ces précieux monumens. Si depuis deux fiécles l'on eût pris de semblables précautions, un fi grand nombre de belles chofes n'auroient point été détruites, ou perdues une feconde fois dans l'Europe depuis le renouvellement des lettres. Il y a dix-huit fiécles que l'Italie eft dans l'usage de veiller à la confervation des reftes précieux de l'Antiquité, & l'Europe lui doit la meilleure partie de ce qui fait l'objet continuel de fon étude en ce genre. Les Papes fur-tout y ont apporté tous leurs foins; & Benoît XIV. qui remplit aujourd'hui le S. Siége, a pouffé le zéle encore plus loin que fon Prédéceffeur, à qui nous devons les commencemens du plus fuperbe, comme du plus utile établissement. Ainfi le Capitole qui faifoit autrefois trembler la terre par toutes les horreurs de Mars, eft devenu l'afyle de la paix, & renferme un tréfor ineftimable, d'où l'on tire les plus grands fecours pour le progrès & la perfection des Arts.

Les Particuliers, à qui il eft impoffible de faire une ample collection de monumens Grecs du premier mérite, parviennent néanmoins affez fouvent à fe donner quelque fatisfaction en un certain genre d'antiquités, & à raffembler, des morceaux qui, moins par leur nombre que par leur qualité, le difputent quelquefois aux cabinets des Princes;

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je veux parler des pierres gravées & des camées. Leur petiteffe & la dureté de leurs matiéres les ont mis à couvert de beaucoup d'accidens, & nous en ont confervé beaucoup. Je vais publier ceux que j'ai trouvés, & qui m'ont appartenu. Ces pierres feront affûrément ce qu'il y aura de plus recommandable dans cette partie : elles feront auffi ce qu'il y aura de plus mal rendu : car les monumens d'une parfaite élégance perdent malheureusement par la gravûre ce que peuvent y gagner ceux qui font d'un mauvais goût, & qui n'ont rien de rare. Les mêmes Artistes que j'ai employés aux autres Planches, ont encore travaillé à celles-ci ils y ont même apporté peut-être plus de foin; mais qui peut rendre toutes les beautés des ouvrages Grecs?

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PLANCHE XLV.

N. I.

LES Antiquaires qui confondent affez communément la tête de Pallas & celle d'Alexandre, font d'autant plus excufables, que nous avons perdu depuis long-temps les ouvrages du Sculpteur Lyfippe, qui avoit feul la permiffion de faire le portrait de ce Prince; & je puis affûrer que plufieurs beaux buftes Grecs que l'on me donne pour ceux d'Alexandre, ne m'ont rappellé aucune des idées que les Hiftoriens nous ont laiffées de ce Héros. J'ai donc eu, fi l'on veut, une tête d'Alexandre dans mon cabinet. Ce buste de marbre blanc eft un peu plus fort que la nature ordinaire; l'ouvrage en eft grand, & la maniére large. Le cafque coëffe & prend bien la tête : il est assez parfait pour d'étude aux Artistes dans cette partie, qu'ils négligent quelquefois. J'ai trouvé par hazard dans Paris ce beau morceau, qui a dans fa totalité un pied neuf pouces de hauteur; & je l'ai cédé à M. de Thiers, chez qui l'on voit mille autres chefs-d'œuvres de l'Art.

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N°. II.

CE camée très-bien conservé eft fur une agathe de trois couleurs, & de la plus belle pâte. La pierre par fon étendue & par fon travail eft digne de toute l'attention des Connoiffeurs. Elle représente un Harpocrate enfant. Ce Dieu eft affis fur un cul-de-lampe terminé par trois feuilles d'acanthe, ou, fi l'on veut, de lotus. J'ignore par quelle raison cette figure mettant la main gauche fur fa bouche, porte l'autre main fur fon pied droit. Ce font des mystères impénétrables de la Religion des Egyptiens. Tout ce qu'on en peut tirer, c'eft que les Grecs qui ont été leurs imitateurs & leurs difciples dans les Arts, ont fuivi quelquefois leurs pratiques en matiére de culte; car il est incontestable que le travail de ce camée eft Grec, & le fujet Egyptien il paroît encore que le temps de leur imitation fervile a été d'une affez longue durée. Ce morceau fert même à me perfuader qu'il y a eu un long intervalle entre le temps où les Grecs ont atteint la perfection dans les Arts, & celui où ils ont été capables de faire un pareil ouvrage. Je le place au rang de ceux d'une haute antiquité. On y apperçoit le goût de la compofition Egyptienne; celle de la figure a néanmoins du mouvement, & l'on voit du progrès dans les détails, & même un fentiment de chair. Je regarde donc ce morceau comme un de ceux qui peuvent nous faire connoître les premiéres opérations par lefquelles les Grecs parvinrent dans la fuite à produire des chefs-d'œuvres. Mais pour rendre la chose auffi fenfible qu'elle le peut devenir par le moyen de la gravûre, j'ai eu foin de mettre à côté de ce morceau un camée que l'on peut regarder comme un des plus beaux que les Grecs nous ont laiffé. Il eft de la main d'un des derniers de leurs grands Artistes.

N°. III.

CE beau camée des mieux confervés eft fur une agathe de deux couleurs, & prouve combien les Artistes célébres dans l'antiquité ont répété les mêmes fujets fans aucun fcrupule. En effet, Solon a représenté dans ce bas-relief, fans aucune différence considérable, le fujet de l'enlévement du Palladium si bien traité en creux par Diofcoride. Nous ne fçavons lequel des deux travailla le premier; mais il faut convenir qu'ils ne fe font nullement copiés. Les noms de ces grands Artiftes gravés fur leur ouvrage nous empêchent de confondre leur maniére; mais l'exacte conformité de leur fujet peut faire conjecturer que les fameux Artistes travailloient alors d'après les ftatues & les bas-reliefs admirés dans la Gréce. La tête de ce monument magnifique eft un peu groffe : & c'eft une fingularité que l'on remarque dans prefque tous les camées antiques. Le nom du Graveur Solon eft déja connu. Nous avons plufieurs pierres gravées qui portent fon nom. On croit qu'il vint à Rome dans le même temps que Diofcoride. Il fe pourroit en ce cas qu'ils euffent voulu exécuter le même fujet, pour mettre les Connoiffeurs plus à portée de comparer leurs talens; & nous fommes fort heureux que le hazard en conservant ces monumens, nous ait procuré le plaifir de la comparaifon. Ils ont retranché l'un & l'autre Ulyffe de leur composition, & fe font contentés de donner la figure de l'homme armé & mort aux pieds de Dioméde; ce qui eft en effet toute l'action du fujet. Pline nous apprend Liv. 33. ch. 12 comment ce Héros étoit représenté pour l'ordinaire,& nous fournit peut-être l'origine des morceaux dont il eft queftion. Après avoir parlé de la cifelure, il dit que Pytheas fit dans ce genre un petit vafe de deux pouces de haut, qui fut acheté dix (a) mille petits fefterces, & fur lequel Dioméde (a) Ce qui vaut de notre monnoie, environ 1000. liv. felon la plus commune opinion.

& Ulyffe étoient gravés enlevant le Palladium. Je viens de m'appercevoir que M. Stoch & M. Mariette ont déja fait les mêmes remarques. Ce Pytheas paroît avoir été contemporain de Diofcoride. J'ai vû plufieurs pierres gravées qui repréfentoient Ulyffe avec Dioméde, & qui pouvoient avoir été faites d'après le deffein de Pytheas. Quoi qu'il en foit, nous voyons par le témoignage de Pline, & plus encore par les ouvrages de Diofcoride & de Solon, combien ce fujet étoit répété dans la Gréce. Je ne regarde pas cette répétition comme un défaut des Grecs, attachés par préférence à la beauté des détails. Ils étoient peu fenfibles à la variété de la composition dont nous fommes occupés aujourd hui, aux dépens peut-être de ces mêmes détails. Les beaux caractères qui forment le nom de Solon en relief fur ce camée, font l'écueil de la gravûre au touret, rien n'est si difficile à bien traiter; & la difficulté confifte à espacer également ces caractères, & fur le même à-plomb. Mais les Artistes Grecs ont encore excellé dans cette partie. Les talens fupérieurs qu'ils avoient en naiffant leur rendoient toutes les pratiques aisées, & il eft conftant qu'ils exerçoient très-fouvent celle de l'écriture fur leurs pierres. Nous trouvons encore aujourd'hui beaucoup d'agathes - onyces, principalement en grandeur de bagues, qui font remplies des noms des perfonnes pour lesquelles on faifoit des voeux. C'est le fréquent exercice de cette pratique qui l'a rendue familiére aux Grecs.

M. Baudelot avoit déja fait graver dans nos Mémoires (a) le camée dont je viens de parler; mais il n'eft entré dans aucun détail fur fon mérite & fur fa beauté. Il appartient aujourd'hui à M. le Comte de Maurepas.

(a) Vol. 3. p. 263.

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