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Egyptiens fe feroient bien gardés d'en employer dans leurs bâtimens. Ils vouloient auffi que les pierres ne dûfsent leur force qu'à elles-mêmes, & qu'à la justesse de leur coupe; c'eft pourquoi ils n'ont jamais introduit aucun métal la liaison de leur bâtiffe. Voilà les moyens par pour lefquels ils font parvenus à une gloire immortelle.

Les progrès de la Sculpture nous femblent avoir été très-lents en Egypte; il fe pourroit cependant que nous fuffions dans l'erreur. Cet Art, traité avec le même efprit que l'Architecture, eft arrivé, parmi les Egyptiens, à un pareil dégré de perfection, & ils y ont également recherché la folidité, qu'ils n'ont jamais perdu de vûe. Si l'on convient de ce fait, que je regarde comme démontré, on n'attribuera qu'à l'envie de produire des ouvrages immortels, la réunion des jambes qu'ils ont confervée fi longtemps dans leurs ftatues. Le Coloffe de Memnon eft une figure des plus anciennes ; elle a véritablement les jambes séparées, mais par derriére elles tiennent au bloc : ils ont en ce cas fuivi la nature; ce qu'ils n'auroient pas fait, s'ils n'avoient trouvé un point de folidité. Quand ils ont été privés d'un pareil fecours, ils ont cherché cet appui fur la chose même. C'eft en conféquence de ce principe, qu'ils ont toûjours représenté accroupis les Sphinx & les autres animaux, dont les ftatues rempliffoient l'Egypte, & décoroient principalement les avenues qui conduifoient à quelques-uns de leurs Temples & de leurs Palais. Le goût pour la folidité les a empêchés de faire faillir aucune partie, & les a bornés à des attitudes fimples, qui font devenues monotones : & cette monotonie, qui n'étoit peut-être pas un défaut à leurs yeux, devoit être inévitable, les combinaisons des attitudes étant fort refferrées, & l'action étant absolument retranchée. Cependant il ne faut pas croire pour cela que leurs Artistes aient toûjours été dépourvûs d'une forte de fineffe dans les détails. Il eft inutile de pouffer plus loin cet examen: on conviendra

que leurs Sculpteurs ont fenti & exprimé le grand, & c'est en ceci que confifte la premiére & la plus effentielle partie de l'Art, puifqu'elle feule éléve l'efprit du fpectateur. C'est encore le même defir de faire paffer leurs ouvrages à la postérité, qui leur a fait préférer les bas-reliefs en creux, à ceux qui font de demi-boffe; ces derniers étant expofés à un plus grand nombre d'accidens. Enfin, ils ont connu toutes les parties de la sculpture, jusqu'à la gravûre des pierres.

On ne peut donc douter que le deffein, la base de tous les Arts, n'ait été fort pratiqué dans un pays où les caractères fymboliques forçoient les Ecrivains même à être deffinateurs mais les particuliers confervoient le goût national, qui ne confidéroit que les maffes, & qui négligeoit les détails. Ils ne fervent, il eft vrai, qu'à détruire l'effet, quand ils ne font point accompagnés de l'intelligence; & je crois que cette derniére partie étoit auffi peu connue des Egyptiens, que l'art de grouper: c'eft auffi la raison qui m'a donné une très - médiocre idée de leur peinture.

Non-feulement leur façon de s'exercer au deffein n'étoit pas favorable aux grands effets de cet Art, mais fon exécution exige une ruption dans la couleur, qui ne pouvoit qu'altérer cette folidité, qu'ils recherchoient en tout. Je n'en juge point fur les peintures que j'ai vûes, & qui, toutes mauvaises qu'elles font, auroient pû venir d'un pays où il y en auroit eu de très-bonnes, mais par les récits qui m'ont été faits, & même par ce que le Pere Sicard & d'autres Voyageurs rapportent de celles que l'on voit en plusieurs endroits de l'Egypte, & furtout dans un plafond à Dandera. Je crois que leur couleur étoit mise à plat, c'est-à-dire, fans ruption & fans aucune oppofition. Je crois encore qu'ils ne regardoient la Peinture qu'avec une forte de mépris: je m'explique, c'est-à-dire, qu'elle leur paroiffoit légère, & de peu de résistance; & que par

conféquent elle ne s'accordoit point avec les prétentions qu'ils avoient fur l'eftime de la Poftérité. Il n'en étoit pas de même de l'or & des couleurs fimples, comme le rouge & le blanc, qu'ils avoient trouvé moyen d'appliquer à froid fur les clefs des voûtes, & fur d'autres parties intérieures & extérieures de leurs plus grands bâtimens : ce qu'ils ont fait avec un fi grand art, que plufieurs de ces ouvrages fubfiftent aujourd'hui dans tout leur éclat.

Cette derniéré opération m'a beaucoup occupé ; j'ai mêine témoigné l'étonnement qu'elle me caufoit, dans quelques Mémoires lûs à l'Académie; mais enfin, on verra dans l'explication de la Planche LXXIII, que je crois avoir retrouvé depuis très-peu de temps, cette pratique que nous avions perdue, & dont les Romains même faifoient usage avec fuccès.

PLANCHE I.

N. I.

FEU M. Maillet, Conful de la Nation Françoise au Caire, avoit apporté ce beau monument en France, & je l'ai acheté de la perfonne à qui il l'a laiffé par fon teftament. Je vais rapporter ce qu'il en dit dans fon Hiftoire de l'Egypte, p. 180, moins pour en donner une jufte idée, que pour rendre compte de la façon dont il étoit arrivé jufqu'à lui.

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Ils ne fe contentoient pas (les Egyptiens) d'embaumer de la maniére la plus parfaite les corps des perfonnes de grande confidération, furtout ceux des Reines & des » Princeffes; pour en conferver plus sûrement le fouvenir, ils en dépofoient encore la figure en marbre auprès de ≫ leur momie. J'ai une preuve invincible de ce que j'avance dans une antique des plus curieufes, dont j'ai fait acqui» fition dans ce pays-ci. C'est une figure en trois piéces, représentant une femme; la tête & les pieds font de

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pierre de touche noire, le corps en gaîne eft fait de » marbre verd antique, rayé de blanc. Ces trois piéces » réunies forment une figure de cinq pieds cinq pouces. » Elle eft fort entiére, & d'une beauté chevée. Un » Mabaucher, c'est-à-dire, un de ces Cophtes, qui depuis » la conquête d'Egypte par les Arabes fe font mis au » fervice des Grands du pays, auxquels ils fervent d'écri¬ vains, me la vendit affez chérement & avec beaucoup » de peine. Pour l'obtenir, je fus même obligé de lui » promettre que je n'en parlerois jamais à perfonne. Ce » Mabaucher me jura fur l'Evangile, que cette figure avoit été trouvée dans une pyramide il y avoit fept ou huit » cents ans; elle avoit, difoit-il, été fauvée du brisement auquel le Roi, qui avoit fait faire l'ouverture de la pyramide, l'avoit condamnée, par un de fes ancêtres qui » en donna cent fequins, en affûrant que c'étoit la repré» fentation de la Sainte Vierge. C'eft certainement une des plus belles antiquités qui jamais foit fortie d'Egypte. Pour moi je fuis perfuadé que cette figure eft la repréfentation de quelque Dame de haute confidération peut-être même d'une Reine; & j'ofe dire que par fa fingularité, elle mériteroit d'avoir place dans le cabinet » d'un grand Prince.

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Le récit que ce Cophte avoit fait au Conful François, eft revêtu de circonftances fi ridicules, que je fuis prefque honteux de l'avoir rapporté ; & je m'étonne qu'un homme auffi éclairé que M. Maillet en ait conclu que les Egyptiens plaçoient dans leurs tombeaux & auprès des corps des perfonnes les plus diftinguées, des ftatues de marbre qui en donnoient la représentation. Aucune nation n'a porté plus loin le refpect pour les morts; mais dans les foins religieux que ces Peuples ont pris des corps, ils ne femblent s'être occupés qu'à leur procurer un repos & une tranquillité que rien ne pût troubler, & fi l'on veut encore, une durée prefqu'éternelle. Je doute qu'ils aient

jamais

jamais connu ni pratiqué l'ufage dont parle M. Maillet. On fait tous les jours de nouvelles découvertes de puits ou catacombes de momies; & fi ce que ce Voyageur fuppofe, étoit vrai, on devroit y trouver quelques ftatues femblables à celle-ci : ce qui n'eft cependant point encore arrivé, que je fçache. Je ne fuis pas du refte éloigné de croire que la tête de cette ftatue eft un portrait. Elle est pofée fur une gaîne qui fe termine en Terme, & les Grecs qui certainement en avoient emprunté l'usage des Egyptiens ne représentérent pas autrement leurs hommes illuftres, lorfqu'ils commencérent à faire leurs portraits en marbre. L'un ne fait-il pas la preuve de l'autre? Quoique tout ne foit que par maffe dans cette tête, & n'offre que des formes générales, qu'elle foit dépourvûe de ces détails que demande un portrait pour être reffemblant; on ne laiffe pas d'y appercevoir une phyfionomie, un caractère particulier, que l'imitation feule de la nature , & une imitation réfléchie a pû donner; & fi les traits ne font pas aussi recherchés qu'ils devroient l'être, c'eft uniquement parce que l'art n'en avoit pas encore enfeigné davantage aux Egyptiens. Ce qui pourra paroître plus furprenant, c'eft de n'y pas voir gravés quelques hieroglyphes, fans lefquels ces Peuples n'expofoient guère leurs monumens, furtout ceux qui devoient confacrer à la poftérité la mémoire des événemens, ou des perfonnes qui s'étoient diftinguées parmi eux.

Ce que M. Maillet dit fur les proportions de la statue eft exact; il a auffi connu l'efpéce de la pierre dont la tête & les pieds font formés, & l'a nommée avec raison pierre de touche, que quelques Auteurs modernes confondent assez ordinairement avec la pierre nommée bafalte, espéce de marbre qui a la dureté & la couleur du fer. Les Egyptiens qui lui avoient donné le nom de ce métal, le tiroient d'Ethiopie, & en faifoient venir des blocs d'une grandeur confidérable. La pierre de

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