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XXXVII.

d'Aniane.

Ben. tom.

5. p. 194

paré le monaftere royal de l'Ile-Barbe, où font maintenant quatre-vingt dix moines vivant felon la regle. Nous avons donné à l'abbé pouvoir de lier & délier, comme ont eu fes predecefleurs: que les nôtres envoyoient dans les lieux, où ils ne pouvoient aller, pour veiller à la confervation de la foi, contre les herefies. Ils avoient même foin du gouvernement de l'églife de Lyon, pendant la vacance du fiege. On voit dans cette lettre le deffein que Leidrade avoit de se retirer, & qu'il executa après la mort de Charles. Cependant on y peut remarquer deux parties confiderables du rétabliffement de la difcipline, les écoles & les monafteres.

J'ai parlé des écoles à l'occafion d'Alcuin :ik S Benoit faut auffi parler de faint Benoist d'Aniane, le reftaurateur de la difcipline monaftique. Il SAćta SS. étoit de la nation des Goths, & nâquit vers l'an 750. Dès fa premiere jeunefle, fon pere, qui étoit comte de Maguelone, le mit au fervice du roi Pepin, dont il fut échanson, & il s'attacha enfuite au roi Charles. Déflors il conçût le deflein de quitter le monde, & s'éxerça pendant trois ans à veiller, à jeûner, & à reprimer fa langue. Enfin fe trouvant en danger de fe noyer, il confirma par un vœu fa réfolution; & ayant tout préparé, il partit de chez lui comme pour aller à Aix la Chapelle où étoit la cour, mais il s'arrêta en chemin au monaftere de faint Seine; d'où il renvoya fes gens, & y embrafla la vie monaftique. C'étoit l'année que le roi Charles foumit l'Italie, c'eftà-dire, en 774.

Etant moine il commença à faire à fon corps une rude guerre. Il ne fe nourriffoit que d'un peu de pain, & craignoit le vin comme un poifon. Il dormoit peu, & quelquefois fur la ter

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re nue.Il paffoit fouvent la nuit en prieres nuds pieds par le plus grand froid, & demeuroit plufieurs jours fans rompre le filence. Il avoit le don des larmes. Il portoit les plus méchants habits de la communauté, & ne changeoit de t unique que rarement, fouffrant patiemment la vermine, qui s'y mettoit en abondance. Il raccommodoit les trous de fa cuculle, qui étoit l'habit de deffus, avec des piéces d'une autre couleur, ce qui le rendoit le mépris des autres moines qui crachoient fur lui, le pouffoient, & le traitoient d'infenfé. L'abbé vouloit l'obliger à fe traiter moins durement, mais il ne pût fe réfoudre à lui obeïr. Il difoit que la regle de S. Benoist étoit faite pour les commen çans & les foibles, & s'efforçoit de remonter à celle de S. Bafile & de S. Pacôme: mais voyant que cette perfection auroit peu d'imitateurs:il revint à la regle de faint Benoift, s'y affectionna avec ardeur, & s'efforça d'y ramener fes confreres.

Ayant été fait celerier, il s'acquita parfaitement de cette charge, & gagna le cœur de l'abbé, qui étant mort au bout de cinq ans, Benoist fut élú tout d'une voix abbé de S. Seine. Mais voyant trop de difference entre les mœurs de fes moines & les fiennes : il retourna promptement en fon pays, & fe retira dans une terre de fon patrimoine fur un ruiffeau nommé Aniane. Là près d'une chapelle de faint Saturnin, il bâtit un petit monastere avec quelques autres folitaires, dont le principal fut un faint homme aveugle nommé Vitmar, qui lui avoit confeillé de quitter le monde dès le commencement de fa converfion. Benoift fit ce premier établiffement vers l'an 780. & y pasfa quelques années dans une grande pauvre té, demandant à Dieu jour & nuit le réta Cs bliffe

c. 14.

bliffement de la difcipline monaftique.

Il y avoit dans le voifinage trois hommes de grande vertu, Attilion, Nibridius & Annien, qui fans favoir la regle vivoient en saints religieux: & ayant connu Benoift ils le prirent en grande affection. On croit que Nibridius eft let même que Nifridius, depuis abbé de la Grasse ou d'Urbion, & archevêque de Narbonne. Plufieurs dans les commencemens venoient avec ardeur fe ranger fous la conduite de Benoist mais la nouveauté de fon genre de vie les décourageoit, quand on les obligeoit à prendre le pain au poids, & le vin par mesure, & ils rentroient dans le monde. Benoist en fut troublé, & vouloit retourner à son monaftere,c'està-dire, à S. Seine. Il confulta Attilion, à qui il avoit recours en toutes les peines ; & celuici lui dit que c'étoit une tentation, & l'encouragea à pourfuivre fon deflein, Il continua done dans le même licu, avec quelque peu de moines que fa réputation lui attira & à qui il montroit l'exemple de tout ce qu'il leur faifoit pratiquer. Ils travailloient de leurs mains, & ne vivoient ordinairement que de pain & d'eau, ne buvant du vin que les dimanches & les grandes fetes; & mangeant quelquefois da lait, que, les femmes du voifinage leur portoient. Ils n'avoient ni métairie, ni vigne, ni bétail, ni chevaux; mais un feul afne pour les porter au befoin.

Cependant leur multitude croiffoit, & la vallée ou Benoift s'étoit établi d'abord étant fort étroite, il commença à bâtir un peu plus loin un monaftere nouveau par le travail de fesmoi nes: où quelquefois il prenoit part avec eux, & quelquefois il leur préparoit à manger. Le monaftere fut grand, mais les bâtimens pauvres & couverts de paille; car il ne les vouloit

pas

pas autrement. L'églife fur dédiée à la fainte Vierge; & il ne voulut y avoir ni calices d'argent, ni chafubles de foye: du commencement les vafes facrez n'étoient que de bois, puis de verre, & enfin d'étain. Toutefois il fe relâcha enfuite de cette rigueur, pour l'ornement de l'églife. On donna beaucoup au nouveau monaftere d'Aniane : Benoift recevoit les terres, mais non pas les ferfs dont elles étoient alors peuplées, & il les faifoit mettre en liberté. On ne le vit jamais affligé pour aucune perte qu'il c. 19. eût faite jamais il ne redemanda ce qu'on lai avoit dérobé: au contraire fi le voleur étoit pris, il lui faifoit du bien & le renvoyoit fecretement. Un homme qui enlevoit les chevaux du monaftere fut arrêté & maltraité par les voifins qui l'amenerent au faint abbé; mais il le fit panfer de fes bleffures & le renvoya. Un jour comme il marchoit, un frere qui l'accompagnoit reconnut un cheval du monaftere, fur lequel un homme qu'ils rencontrerent étoit monté: il s'écria aussi-tôt, mais l'abbé le fit taire, difant qu'il y a fouvent des chevaux qui fe reffemblent. Il lui dit enfuite en particulier: Je l'ai auffi reconnu, mais je n'ai pas voulu faire un affront à cet homme.

L'exemple de Benoift excita plufieurs autres n. 15. faints perfonnages à affembler des moines & à former leur vie fur les inftructions. Il leur fervoit de pere, & les affiftoit pour le fpirituel & le temporel: les vifitoit fouvent pour les encourager & les foûtenir, contre la crainte de la pauvreté & les autres obftacles: ainfi fe formerent plufieurs monafteres dans le

pays.

Celui d'Aniane croiffoit toûjours, & Benoist aidé par des dues & des comtes commença à y bâtir une églife plus magnifique l'an 78 2

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7. 16.

Marculf. 1.

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quatorziéme du roi Charles. Il renouvella auffile cloître, mettant des colomnes de marbre dans les galeries, & changeant en tuile la paille des toits. Cette églife fut dediée à faint Sauveur; & l'autel folide au dehors étoit creux au dedans; ayant des chaffes qui contenoient des reliques, entre autres de la vraye croix,& une épine de la fainte couronne. Les ornemens de cette églife étoient par fept: fept chandeliers à fept branches, fur le modele de celui du tabernacle de l'ancienne loi, fept lampes devant l'autel, & fept autres dans le cœur, forte qu'aux grandes folemnitez l'églife étoit magnifiquement éclairée. Il y avoit de grands calices d'argent, des habits prétieux, & tout ce qui étoit neceffaire pour le fervice divin. Benoit affembla auffi dans fon monaftere quantité de livres, il établit des chantres & des lecteurs, il eut des Grammairiens & des Theologiens inftruits dans la fcience des écritures, dont quelques uns furent depuis évêques. Tels furent les commencemens du fameux monaftere d'Aniane, qui fubfifte encore dans le diocefe de Montpellier.

La réputation de Benoît étant venuë jufques à la cour, il alla trouver le roi Charles, & de peur que fes parens ou d'autres n'inquietaffent fes fucceffeurs, il mit fon monaftere fous la protection du roi, & obtint de lui un privilege. VitaBen.n. ou immunité fuivant l'ufage du tems. Le roi

Sup. liv.

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28,

donna même à Benoît des terres autour du monaftere, le renvoya avec honneur, & lui fit prefent de quarante livres d'argent que Benoît a fon retour diftribua aux monafteres du pays, car la charité pour ces faintes mailons étoit fa vertu favorite. Illes vifitoit fouvent, leur faifoit part, chacun felon leurs befoins, de ce qu'il recevoit de la liberalité des fideles, & inf

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