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bien celle de leur caractère. Colombelle étoit douce, réfléchie, docile & prudente. Volontairette, légère, inconféquente, portée au changement de goût par caprice. Elle fe voit un jour éveillée très-matin par Colombelle, qui l'exhortoit à partir pour le pélerinage de Jerufalem (voyage dont elles étoient convenues). Volontairette juge qu'il eft encore de trop bonne heure pour fe mettre en route: cependant elle cède aux inftances de fa fœur; mais elle a foin de fe munir de quelques provifions pour en faire ufage lorfqu'il en fera temps. Colombelle blâme cette prévoyance. Elle conduit fa fœur à une certaine rivière, & l'oblige de s'y baigner comme elle : précaution qu'elle lui dit être indifpenfable avant que d'entreprendre le voyage de la Sainte-Cité. L'eau paroît froide à Volontairette. Elle demande à Colombelle d'où cette rivière prenoit fa fource, & combien de temps cette eau doit courir. Elle court toujours, lui répon dit fa conductrice; elle prend fa fource à Rome, dans les montagnes d'Italie, & elle vient jufqu'à Jerufalem. Après le bain, Colombelle excite fa fœur à prendre fes attributs de pélerine. Ils confiftent dans un man

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teau de cuir, un chapeau rabattu, un bour don. Le but de ce voyage eft d'aller rejoindre à Jerufalem l'amant céleste qui leur a prefcrit de s'y rendre. Volontairette n'imagine pas qu'un feul amant fuffife à deux. Elle a même affez mauvaise opinion des amans en général. Êtes-vous fi fimple, ditelle à fa fœur, de croire tout ce que les amoureux difent? Ils fe vantent, fe louent, se blafonnent, bâtiffent des châteaux en l'air comme s'ils pouvoient faire tout : & ainfi« ils font croire à ces fimples filles >> plufieurs bourdes (menfonges); il don» nent des louanges à ces filles, comme fi » fuffent (étoient) des déeffes: ils s'abaif>> fent & s'agenouillent devant elles; c'est » toujours & par-tout ma maîtreffe; voire » (ils) les fervent à l'envi, jufqu'à ce qu'elles >> foient dans leurs filets. Ils envoient de >> petits préfens, & dons de chanfons, & >> lettres amoureufes accoutrées de foie & » d'or, pleines de plaintes & très - affreux » allechemens (pièges); ils donnent les vio» lons, des festins, des comédies; ils font » peindre emblêmes, devis & pourtraits » (portraits) de leurs maîtreffes, lefquels, » enclos dans des cachettes d'or ou d'ivoire,

ils portent fur la poitrine; & auffi des » petits rubans de foie (qu'ils appellent fa» veurs & livrées) aux chapeaux, épées & >> aux bras, ils gémiffent lentement, fe plai» gnent, regardent de travers, font clins » & fignes avec leurs yeux, & inventent >> milles fortes de fineffes. Voire peuvent » larmoigner comme s'ils fe fondoient d'a>>mour, principalement quand ils ont un >> efpoir & quelque apparence de proufit » (profit); fi donc ces pauvres brebiettes » les veulent légèrement & bientôt croire, » voilà le poiffon aux filets..... Mais ils ne >> m'auront pas fi-tôt, car je fuis fine contre >> fins. J'entretiens bien les jeunes hommes, » & leur montre un joli semblant, un bon » visage; mais ce n'eft que pour mon passe» temps, pour favoir ce qui fe passe par » (dans) la ville, pour rire, pour deviser, » jouer, danfer, & autres femblables plai» firs, ou bien pour en avoir quelquefois » un petit banquet, pour aller à charriot » hors de la ville, & pour en (y) boire du » vin fucré ».

Voilà un échantillon de la galanterie & de la coquetterie de ce temps-là. Qu'on traduife ce paffage en ftyle moderne, on croira

que c'eft une moderne françoife qui pa Il faut peut-être en excepter le vin f qui a trouvé parmi nous d'heureux équi lens.

Colombelle cueille des fleurs pour amant, & propofe à fa fœur d'imiter exemple. Volontairette ne s'attache qu'a fleurs qui ont le plus d'éclat. Sa fœur l' horte à préférer celles qui ont l'odeur plus fuave. Volontairette, fatiguée par exercice, ouvre la gibecière & déjeune. F mange tout ce qu'il y a de meilleur, diff le refte. Nouvelle femonce à ce fujet; no veau bain pour laver les taches qu'elle faites à fes habits. On arrive dans un villa où la gaieté régnoit de toutes parts. C'ét un jour de fête; un charlatan y raffembl beaucoup de monde autour de lui. Vold tairette, au lieu de fuivre Colombelle, se me parmi cette foule. Elle n'en fort que bi pourvue de vermine; elle avoit un pad « Regardez, dit-elle à fa fœur, comme >> fe mire, fe tournant çà & là, ayant >> toupet emplumaché, le col reluifant » tendu, la poitrine élevée, fa queue éter » due au large & dreffée en haut. Voye » quelle magnificence il montre en fa ma

» che ?..... Vraiment j'y prends plaifir! Il » faut que je m'agence auffi un peu à la » mode». Colombelle fe moque de cette nouvelle idée; elle exhorte fa fœur à regarder les pieds dù paon, fi peu dignes de fon plumage, & les fiens même qu'elle vient de fouiller par étourderie. La leçon eft légèrement goûtée, & l'on fe remet en marche. Volontairette apperçoit des pourceaux qui se vautrent dans l'ordure. Elle blâme beaucoup leur fale inftinct, & va folâtrer au milieu d'un troupeau de chêvres & d'autres animaux; elle cause avec le berger; mais dans ce moment un veau paffe devant elle & l'atteint au vifage avec fa queue qui eft fort fale. Cet accident ramène la jeune pélerine auprès de fa fœur. Colombelle déclame contre les vains amusemens qui arrêtent sa compagne à chaque pas, & lui peint les vrais plaifirs qui les attendent à Jerusalem.

« Là, lui dit-elle, mon bien aimé mènera » la danfe, marchera devant, & tous les » autres le fuivront habillés d'habits blancs » & précieux, couronnés de lauriers, & » avec des rameaux de palmes entre leurs » mains. Là ferons-nous (nous ferons) »joyeuses dans ces falles dorées. Là pro

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