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l'hôteffe à le lui donner, pour fatisfaire une de ces envies, auxquelles les femmes font expofées dans cet état: « Je fuis, pourfuit» elle, iffue de la plus noble & de la plus » illuftré maifon de toute la Suiffe; mon >> mari eft feigneur, a plufieurs fujets & >> vaffaux, & en feigneurie eft-il (il eft) » jufticier abfolu? J'ai dames d'honneurs, » chambrières, plufieurs fervantes deffous >> moi & à mon commandement; je fuis >> auffi fort adextre ( adroite) & bien dreffée >> pour imiter toutes chofes, & pour inven» ter quelques nouveautés tant ès délica» teffes de la viande (1), qu'en la broderie » à l'aiguille & autres ouvrages féminins >> efquels (dans lefquels) je furpaffe les >> autres de ma qualité. L'on me fert, ho>> nore & careffe ès (dans les ) compagnies » avec un tel refpect que les autres femmes >> en font envieufes. Plufieurs feigneurs ont » jadis été enamourachés (épris ) de moi, » & dreffé de fomptueux banquets pour » acquérir ma faveur & bienveillance...... » Mais je les (leur) ai fu toujours par » quelque gentille fineffe & quelque beau

(1) Les dames de la plus haute qualité préfidoient.

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» tour, donner la figue»: elle finit par dire à l'hôteffe que Colombelle qui l'accompagnoit n'eft autre chofe que fa fervante. Peu de momens après, cette prétendue fervante l'oblige à reftituer ce qu'elle n'eût pas dû recevoir. Il ne refte à celle-ci que la pomme dont elle n'a point parlé ; mais cette pomme est belle en dehors, & pourrie dans l'intérieur,

Voilà de nouveau, les deux pélerines en route; voilà auffi la plus jeune qui s'esquive encore une fois; elle entre dans une cabane où elle trouve quelques-unes de ces femmes que l'on nomme Devinereffes ou Egyptiennes. Son premier foin eft de fe faire dire fa bonne aventure; enfuite elle voit fortir d'une espèce de cachot une vieille femme étique ayant les cheveux épars, les joues creufes, les yeux enfoncés, la peau ridée, écailleufe, le teint enfumé. Ce spectre féminin offre à la jeune envieuse de lui enfeigner l'art d'être bientôt riche, & de l'être toute fa vie; de lui apprendre à faire éclorre le beau ou le mauvais temps, le vent favorable ou le vent contraire; à conjurer les morts & les efprits pour découvrir les tréfors cachés; à faire recouvrer ce qui aura

été perdu; à prédire quelle fera l'iffue de telle entreprise ou de tel projet; enfin, à donner de l'amour à qui elle voudra, & auffi long-temps qu'elle le voudra. Il en falloit moins pour tenter la curiofité de Volontairette. Sa bourfe eft le prix qu'on exige pour lui enfeigner tant de chofes, & elle la donne: «ma cuifine eft pauvre & >> maigre, difoit-elle tout bas, & le tra» vail ne me plaît guères fi je puiffe (puis ) » maintenant par quelque facilité, fcience » ou fineffe, parvenir ainfi à de grandes >> richeffes ce feroit chofe qui me duiroit".

La magicienne l'exhorte à bannir toute frayeur. Elle lui dénoue fes cheveux, lui frotte quelques parties du corps avec certain onguent, & trace autour d'elle un cercle avec la baguette noire qu'elle tenoit à la main. La jeune pélerine doit refter debout, & immobile au milieu de ce cercle. Elle y voit rapporter beaucoup de chofes dont elle ne devine pas l'ufage; telles que les griffes d'un lion, les yeux d'un chien, les dents d'un loup, le fang d'un bouc, les oreilles d'un âne & les plumes d'un paon. Enfuite la magicienne pofe autour du cercle plusieurs torches de poix noire, toutes allu

inées. Elle prend en main un livre noir, au dedans & au dehors, il renfermoit divers caractères étrangers, écrits avec du fang; >> alors elle commença à gromeler, à heur›› ler, à gronder & conjurer, difant: Je te » conjure par ces fignes infernaux qui font » dans le rondeau, & par les fanglans ca»ractères contenus au livre, qu'ayez à » comparoître ici, tu (toi) hécate, hécate >> porte ferpens avec toute la compagnie » vagabonde, courfière par nuit, efcou» tante, caufatrice des difcordes, savante ? plus qu'il ne faut, enqueftereffe (enquê>>teufe) des nouvelles, embrouilleffe (em» brouilleufe) des affaires d'autrui, ama>>trice des nouveautés, forcière de nuit..... » Alors il commença à fumer, & apparu>> rent parmi les tonnerres, des étranges » façons de monftres fort hideux à voir.. » Je tremblois de peur, (ajoute Volontai» rette qui fait ce récit à Colombelle), & la » fueur d'angoife m'ébouillonnoit de tous » côtés. Je m'envolai en grand hâte hors » du rondeau, ne prenant (n'ayant) égard »> ni à la fumée, ni aux falots ardens. Ce >> font ces flammes fumeufes & la poix brû>> lante qui m'ont ainfi noirci & brûlé ma >> chevelure.

Tel fut en effet, pour Volontairette, le résultat de cette nouvelle échappée; elle y perdit fa bourse & fes cheveux, fans avoir acquis plus de prudence. On la retrouve dans les chapitres fuivans telle qu'on l'a vue dans ceux qui précèdent. Dans l'un elle s'amuse à exciter le babil d'un perroquet & reçoit fur fes habits l'ordure d'une cigogne; dans l'autre, elle fe mocque d'un finge qui veut imiter le travail d'un potier, fon maître, & qui ne réuffit à rien. Vos occupations, lui dit la rigide Colombelle, reffemblent beaucoup à celles de ce marmot; il ne réfulte aucun fruit des unes & des autres.

Cependant, les deux voyageuses touchent d'affez près à Jérufalem. Elles l'apperçoivent du haut d'une montagne qu'il faut franchir pour y arriver. Le chemin eft étroit & bordé de précipices. L'on ne peut y marcher qu'avec précaution. Volontairette, à qui toute précaution eft à charge, veut monter plus haut que le chemin ne l'indique. Le pied lui manque : elle tombe dans un précipice d'où Colombelle ne peut la retirer. C'est une affreufe folitude, où l'imprudente pélerine, froiffée par fa chûte, gémit de fa difgrâce, & ne trouve nulle confo

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