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dont j'ai parlé, « que le Sage regardoit » comme fon chef-d'œuvre le Bachelier de » Salamanque ». Le goût furvit au génie ; le Sage a toujours confervé le premier dans la décroiffance du fecond, & il n'est guères probable que les preftiges de l'amour paternel pour fes dernières productions, aveuglent un auteur au point que l'éditeur voudroit le perfuader. Corneille pensoit infailliblement qu'Agefilas & Pulcherie avoient des beautés ; mais lorsqu'il s'agit de décider entre fes meilleures tragédies, il nomme Rodogune ou Cinna.

J'ai oublié de parler, à l'époque de 1704, de fa traduction en deux volumes, des nouvelles Aventures de don Quichotte d'Avellanida. J'aurois pu l'oublier exprès, comme je pourrois me difpenfer de parler de fon Eftevanille qui me femble fait, s'il eft permis de fe fervir d'une expression auffi triviale, avec les retailles de fon ima

gination.

Après ce dernier ouvrage, le Sage ne s'occupa plus qu'à vivre. Il reçut en grace fon fils aîné qui fe montra le fils le plus tendre & le plus complaifant. Un premier voyage qu'il avoit fait à Boulogne-fur-Mer,

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l'avoit ramené auprès de lui; & cet acteur aimable, fe concentrant dans fa famille, n'avoit point d'ami plus intime que fon père, ni de fociété plus particulière que celle de fa mère & de fa fœur. Le Sage ne le quittoit point. Quand le fils étoit au théâtre l'après-midi, l'unique amusement du père étoit d'aller dans un café rue Saint-Jacques, où il venoit une infinité de gens pour l'écouter. On faifoit cercle autour de lui, on montoit fur les chaifes, fur les tables, afin de mieux l'entendre: Avec des idées juftes, une élocution claire, brillante, relevée par un organe fonore, flexible, il excitoit la même attention, quelquefois les mêmes applaudiffemens parmi cette affemblée particulière, que Montménil dans fes rôles de Valets ou de Payfans qu'il rendoit avec une fupériorité dont on fe fouvient encore.

&

Ce fils fi chéri, le fondement fur lequel portoit la félicité du refte des vieux jours de fon père, étant allé faire une partie de chaffe, fut attaqué d'un mal violent dont il mourut fubitement à la Villette, le 8 Septembre 1743. Sa mort fut un coup de foudre pour fon père qui en demeura in

confolable. Il retourna définitivement avec fa femme & fa fille chez fon fils le chanoine, où il vécut jufqu'au dix-fept Novembre 1747 dans un état d'affaiffement affez trifte. Il avoit près de quatre-vingt ans lors de fon décès. On lui fit l'épitaphe fuivante que je rapporte faute d'autre :

Sous ce tombeau gît le Sage abattu
Par le cifeau de la parque importune.
S'il ne fut pas ami de la fortune,
Il fut toujours ami de la vertu.

Cette Notice fe trouve à la tête de l'édition de le Sage, donnée par Cuchet Libraire.

1

A Paris, ce 20 Janvier 1783.

Vous m'avez prié, Monfieur

Monfieur, de vous donner quelques notions fur les derniers jours du célèbre auteur de Gil Blas, & de plufieurs ouvrages eftimés: voici, Monfieur, les feules que je puiffe vous donner.

Après la bataille de Fontenoy, à la fin de 1745, le feu roi m'ayant nommé pour fervir fous les ordres de M. le Maréchal de

Richelieu, les évènemens & de nouveaux ordres m'arrêtèrent à Boulogne fur Mer où je reftai commandant en Boulonnois, Ponthieu & Picardie.

Ayant fu que M. le Sage, âgé d'environ quatre-vingt ans, & fon épouse à-peu-près du même âge, habitoient à Boulogne, un de mes premiers foins fut de les aller voir, & de m'affurer par moi-même de leur état préfent; je les trouvai logés chez leur fils chanoine de la cathédrale de Boulogne, & jamais la piété filiale ne s'eft occupée avec plus d'amour à foigner & embellir les derniers jours d'un père & d'une mère qui n'avoient prefque aucune autre ressource que les médiocres revenus de ce fils.

M. l'abbé le Sage jouiffoit à Boulogne d'une haute confidération. Son efprit, fes vertus fon dévouement à fervir fes proches, le rendirent cher à monfeigneur de Preffy fon digne évêque, à fes confrères, à la fociété. J'ai vu peu de reffemblance auffi frappante que celle de l'abbé le Sage, avec le fieur Montménil, fon frère; il avoit même une partie de fes talens & de fes dons les plus aimables; perfonne ne lisoit des vers avec plus d'agrément; il possé

doit l'art fi rare de ces tons variés, de ces courts repos, qui fans être une déclamation, impriment aux auditeurs le fentiment & les beautés qui caractérisent un Ouvrage.

Je regrettois & j'avois connu le fieur Montménil, je me pris d'eftime & d'amitié pour fon frère, & la feue reine, fur le compte que j'eus l'honneur de lui rendre de fa pofition & de fon peu de fortune lui fit accorder une pension fur un bénéfice.

On m'avoit averti de n'aller voir M. le Sage que vers le milieu du jour; & ce vieillard me donna l'occafion d'obferver pour la feconde fois, l'effet que l'état actuel de l'atmofphère peut faire fur nos organes dans les triftes jours de la caducité.

M. le Sage fe réveillant le matin, dès que le foleil paroiffoit élevé de quelques degrés fur l'horison, s'animoit & prenoit du fentiment & de la force, à mesure que cet aftre approchoit du méridien mais lorfqu'il commençoit à pencher vers fon déclin, la fenfibilité du vieillard, la lu-` mière de fon efprit & l'activité de fes fens diminuoient à proportion ; & dès que le foleil paroiffoit plongé de quelques degrés

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