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familles, & de lier plus étroitement les pères aux enfans, les enfans à leurs pères. Quelles étoient touchantes ces foirées de famille! Les mères étoient les bonnes de leurs enfans, elles leur faifoient des contes; & felon l'humeur de l'élève, c'étoit la bonne ou la mauvaife fée qui figuroit le foir.

Les contes des fées font l'hiftoire du cœur & l'école des rois. Les monarques, les princes qui en font les perfonnages dominans, les fublimes leçons qu'on y trouve, indiquent affez qu'ils n'ont été imaginés que pour former & perfectionner le cœur de ceux qui font destinés à gouverner, & qu'il a été néceffaire de mettrè fur la fcène des puiffances d'un ordre fupérieur, qui euffent le droit de dire & de faire fentir la vérité ? Que de moyens n'at-il pas fallu employer ici, lorsqu'ils ne pouvoient être que proportionnés à la foibleffe des hommes? Alors n'eft-on pas forcé d'admirer la richeffe de ces moyens, la fingularité de l'invention, la beauté des détails & le ton fimple & naïf de la féerie, en même temps qu'on y éprouve ce charme qui eft le propre des ouvrages d'imagina

tion, qui féduit & qui ne permet pas d'en interrompre la lecture. C'eft fans doute ce qui fait dire à la Fontaine :

Si Peau - d'âne m'étoit conté,

J'y prendrois un plaifir extrême.

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Cependant quelques Journalistes, qui font en général des lecteurs difficiles, osèrent condamner ce genre. L'abbé de Villiers prit la plume & entreprit la fatire des féeries. Quelques fuccès qu'un très-médiocre poëme fur l'amitié, un art de prêcher, & sa réfutation des illufions du quiétifme lui euffent procurés, il ne fut point perfuader fes lecteurs: c'eft que le genre qu'il osoit attaquer étoit plein de ces graces légères, étoit embelli des fictions les plus délicates, & que pour fentir & apprécier ces effets, il faut plus que des principes auftères. Le goût prend plufieurs formes, celui de Boileau, quelqu'épuré qu'il fût, n'étoit pas celui qui infpiroit Duclos & l'auteur de Bota, celui qui put les juger. La critique tomba, les fées circulèrent. A la cenfure de l'abbé de Villiers, on pouvoit oppofer le fuffrage de mademoiselle l'Efpinaffe, dont la réputation eft faite pour tous les ouvrages qui

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concernent l'éducation. Elle préfère aux romans les contes de fées, les contes Arabes, parce que le merveilleux n'eft pas dans la nature, au lieu que le roman étant plus vraisemblable, en devient plus dangereux. On fut cependant frappé d'une feule obfervation de l'abbé de Villiers qui avoit remarqué que parmi ceux qui s'étoient exercés dans ce genre, les femmes formoient le plus grand nombre. L'obfervation étoit jufte; il faut ajouter que nous leur devons les meilleurs contes, ce qui donneroit peutêtre la mesure de leur talent; le joli paroît leur appartenir dans tous les arts. Rarement elles peuvent s'élever au fublime; la nature leur a refufé les forces néceffaires pour les grandes entreprises.

Ce genre a éprouvé les mêmes variations que tous les autres. Il fut ingénu, naïf, aimable conteur fous la plume de Perrault. Barbe Bleue fe rapprochoit de la claffe de fes jeunes lecteurs, & de la décence que madame de Maintenon recommandoit. Combien de fois cette lecture la fit-elle fourire & tomber le fufeau de fes mains; elle paffoit la moitié de fes journées à filer & à conter; car elle narroit avec intérêt & vo

lontiers. L'aimable duc du Maine en plais fantoit dans fes lettres à madame de Montefpan. Mademoiselle de la Force, madame de Murat, d'Aulnoy, d'Auneuil, prirent une manière moins fimple; mais jufques-là rien n'étoit outré; le ton convenoit aux jeunes chevaliers de la Terraffe qui fuivoient Louis XV. Ce Roi avoit inftitué l'ordre de la Terraffe, dont la fête fe célébroit le jour de la Saint-Barthelemi. Le devoir des Chevaliers étoit de jouer avec le roi fur la terraffe des Tuileries. Au retour, on lifoit des Con tes de fées.

« Mesdames d'Aulnoy, de Murat & ma» demoiselle de la Force, ont fait des contes » (dit M. le marquis de P.....) où le mer>> veilleux femble racheté par la pureté du >> goût, par la fageffe des idées, par l'hon» nêteté des tableaux, par une certaine phi>> lofophie de mœurs qui caractérise le fiècle » où ils ont été écrits. Il y a deux cent >> ans que tout cela n'exiftoit pas en France; >> il régnoit au contraire une crédulité fotte, >> une groffièreté d'efprit qu'on a peine à >> concevoir aujourd'hui. Les contes des » trois femmes que nous venons de nom

» meilleurs ouvrages de féerie que nous >> euffions eus depuis cent ans; mais ils font >> en quelque façon les premiers qui mar» quent la révolution des idées ».

Mais des écrivains très - médiocres s'en mêlèrent. Prefchac, Lefconvel & tant d'autres, gâtèrent tout: les contes n'eurent plus que le titre de fées. Duclos, Voltaire, Crébillon, ne ramenèrent point le genre à fa première candeur. Crébillon imita du mauvais côté les Mille & une Nuit que le chevalier de Mouhy voulut finger, & où Moncrif n'avoit paru qu'un mince écolier. Le Régent n'étoit pas d'un caractère à protéger les fées; il avoit trop d'ardeur dans fes goûts, pour ne pas chercher des lectures plus analogues à fes penchans. Tout ce qu'il put faire, ce fut de mettre en réputation le Télémaque de Fénélon que Louis XIV avoit réprouvé. Cette protection lui valut la dédicace d'un tableau où il étoit le Mentor, & Louis XV le Télémaque.

La ducheffe du Maine, les foupers du Temple, rejetèrent ces petites lectures. Voltaire écrivoit cependant à madame Gondrin, qu'on pouvoit rire aux Contes des fées.

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