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les moindres alimens avant de les avoir fecourus. Pourquoi n'a-t-il jamais manqué d'affifter un aveugle? c'eft que, difoit-il, ces infortunés font dénués de l'organe qui commande la pitié, & qu'il faut les rechercher avec d'autant plus de foin, qu'ils font plus négligés.

Je vais enfin parler de fon efprit & de fes ouvrages qui ne font que l'expreffion de fes propres fentimens. On ne voit pas que l'abbé Blanchet ait jamais eu d'autre but, en exerçant fon efprit, que de remplir fon cœur de fentimens honnêtes, que de le rendre de plus en plus agréable à ceux qu'il fréquentoit. Quoiqu'il ait parfaitement réuffi à ces deux égards, il n'en a pas moins prouvé que l'efprit est comme la richeffe, que fouvent il fert plus aux autres qu'au propriétaire. Il ne rivalifoit avec perfonne; & fans émulation, fans fonger aux éloges, il travailloit de toutes fes forces, parce qu'il n'étoit jamais plus heureux qu'en travaillant. S'il ne louoit pas toujours, car il ne favoit pas mentir pour confoler les gens, il n'a jamais blesse perfonne, même dans le filence du cabinet. Quant au goût, il en étoit l'apôtre,

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& non le fatellite. Quant au ftyle, le négligé des grâces lui plaifoit beaucoup plus que toutes les parures.

L'abbé Blanchet étudia long-temps & n'oublia rien. Il s'attacha furtout à l'art de bien narrer tant en profe qu'en vers: cet art en fait de littérature lui paroiffoit la clef de toutes les autres. Il s'y difpofa par la lecture réfléchie des bons Auteurs latins, italiens, espagnols & anglois, fans négliger fa propre langue dont il avoit appris les fineffes, dans les cercles choifis, où l'idiôme national s'épure & fe maintient. Pour fe perfectionner en même temps dans l'art d'écrire & de parler, il eut recours au moyen le plus sûr & fe mit à traduire ; ce qu'il appeloit en badinant, verser du françois dans les moules des anciens, afin, difoit-il, de s'accoutumer aux belles formes.. Il ne refte de ces nombreux effais que la traduction de l'hiftoire de la famille d'Hiéron par Tite-Live; la Conjuration de Pifon contre Néron par Tacite.

Du latin il paffa à d'autres langues; ce fut alors qu'il imita quelques contes efpagnols & anglois, & qu'il entreprit de traduire ce qu'ont de plus ingénieux le spectateur.

& quelques autres journaux qui parurent en Angleterre prefqu'en même temps. Après avoir traduit, il voulut enfin composer.

Il m'eft permis de déclarer ce que je penfe de fes contes; j'avoue que l'exécution m'en paroît telle en général que la jeuneffe les lira avec autant de fruit que de plaifir, que les gens de goût les reliront plus d'une fois, & que les philofophes ne les dédaigneront pas.

Convenons cependant que tous fes contes ne font pas de la même importance. Ce n'eft quelquefois qu'une naïveté, comme dans les princeffes bien nées, ou bien une facilité comme dans l'académie filencieuse; mais c'eft alors que l'Abbé montre le plus de talent; car il en faut beaucoup pour donner à des riens une forte de confiftance.

On a reproché à quelques auteurs de Contes Orientaux, d'ailleurs fort ingénieux, de n'avoir prefque rien d'oriental que le titre, l'on ne fera pas ce reproche à l'abbé Blanchet. Les papiers qui ont été trouvés dans fon porte-feuille offrent plufieurs ébauches de contes & d'anecdotes, qu'il auroit perfectionnés, fi fa déplorable existence lui

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avoit permis de fe livrer conftamment aux délices de la compofition.

Il publia dans fa jeuneffe une Ode contre les incrédules , que l'abbé des Fontaines annonça avec éloge.

Il a composé une grande quantité de vers fur toutes fortes de fujets; on n'a pu er recueillir qu'une petite partie. Il les communiquoit difficilement, & il exigeoit qu'on les lui renvoyât. Il paffoit une mauvaise nuit, quand le paquet arrivoit trop tard. Il avoit grand foin de les brûler, & il fe comparoit à Saturne qui dévoroit fes enfans. On en a retenu quelques-uns, & l'on cite encore ce triolet.

A TROIS SŒURS.

Aimables fœurs entre vous trois,
A qui mon cœur doit-il fe rendre?
Il n'a point fait encor de choix,
Aimables fœurs, entre vous trois;
Mais il fe donneroit, je crois,
A la moins fière, à la plus tendre:
Aimables fœurs, entre vous trois,
A qui mon cœur doit-il fe rendre ?

Fontenelle prétendoit que dans ce genre

En voici d'autres qu'on attribuoit aus poëtes les plus galans qui ne s'en défendoient pas. Quand on le difoit à l'abbé, il répondoit Je fuis charmé que les riches adoptent mes enfans.

Sur une jeune Personne habillée en religieuse.

Que cette veftale a d'appas!
Heureux celui qu'elle aime!
Le bandeau ne lui meffied pas:
Il femble un diadême ;

Et s'il étoit deux doigts plus bas,

Ce feroit l'amour même.

Le portrait de madame la ducheffe de.... parut du meilleur ton.

Telle est l'inconcevable Hortenfe, Également fidelle au caprice, au devoir, Vertueufe fans qu'elle y pense,

Et charmante fans le favoir.

On le plaifanta il y a quelques années, fur ce qu'il n'avoit jamais fait d'énigmes : il en fit une qui eut beaucoup de vogue, & qui donna la torture aux amateurs de ce genre. La voici :

On vous annonce une maifon

A louer en toute faifon;

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