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a mieux employé fon temps que l'autre. Ainfi nous fommes très - éloignés de conclure, que M. de Baftide n'ait eu autant de moyens de fe faire valoir qu'un autre, & on doit fe garder de le frapper de l'anathême de la médiocrité. On peut donner au public des ouvrages médiocres, fans que l'auteur foit pour cela convaincu de médiocrité. Je pourrois citer parmi les hommes de lettres, honorés du fauteuil académique, plufieurs écrivains qui fe font trouvés dans la même hypothèse: on me dif penfera de prouver cette définition.

Nous ne pouvons ne pas confeiller aux jeunes auteurs de s'écarter du penchant qui les gourmande trop, d'imiter tous les genres qui réuffiffent. Il faut que chacun foit ce que le ciel a voulu qu'il fût. Chacun a fon talent, il faut le cultiver, le développer, & c'est tout perdre que de se borner à l'imitation d'un talent qu'on ne possède point. Les petits vers, les déclarations d'amour, les bouquets à Philis, les queftions fur des fujets galans, les Contes de fées, moraux, allégoriques, étoient à l'époque où M. de Baflide parut, les genres dominans. Il n'y avoit que l'opéra qui pût lutter

avec

avec avantage contre cette belle renommée. Auffi les vers pleuvoient de tous les côtés; les plus médiocres étoient accueillis ; de-là l'abbé Abeille reçu à l'académie françoise, l'abbé Pellegrin recherché, & tant d'autres. Ce n'eft pas qu'il n'y eût dans le même temps des romanciers d'un mérite fupérieur, il fuffiroit de nommer le Sage, Marivaux, l'abbé Prevot, ni qu'on ne poffédât des auteurs dramatiques eftimés. Crebillon vivoit, Voltaire jouiffoit de fa brillante deftinée; mais c'eft qu'alors on lifoit plus volontiers qu'aujourd'hui, on lifoit tout. II y avoit une fourmilière de poëtes qui n'étoit pas dénuée de talent & qui pouvoit briller un jour entier. La preffe publioit tout, les romans les plus médiocres s'imprimoient & trouvoient des acheteurs.

J

Un homme qui avoit un nom devenu cher à la littérature, parce qu'il étoit fils d'un père qui tenoit le fceptre dramatique, Crébillon, joignoit aux avantages de la figure & de la perfonne, beaucoup d'efprit & cette forte de talent qui s'attache & faifit avec fineffe les furfaces. Il vivoit dans le monde, il connoiffoit les femmes, il les peignoit légèrement, ainfi qu'il les aimoit. On crut

retrouver dans fes petits romans la peinture du cœur humain, & il n'y avoit réellement que l'hiftoriette de quelques femmes & de quelques cercles. On dévora ses romans qui en effet fe claffoient à part & ne reffembloient point à ceux qu'on avoit lus: les Contes Moraux de M. Marmontel n'existoient pas; mais il faut tout dire, peut-être que fans les écrits de Crébillon on n'auroit pas eu les contes moraux; & fi Boissi qui rédigeoit le mercure, n'avoit aimé les contes, peut-être que M. Marmontel, trouvant moins de facilité, n'auroit pas compofé un recueil moral qui reftera. M. de Baftide voulut imiter Duclos, il voulut imiter M. Marmontel; il écrivit les aventures de Victoire Ponti, & les Confeffions d'un Fat. Mais plus flatté de la brillante réputation de Crébillon que toutes les femmes prônoient, il fit la Trentaine de Cythere; les Têtes - Folles, le Tribunal d'Amour; le Faux-Oracle. Par-tout on trouve de l'efprit, de la facilité, de l'agrément, mais jamais de caractère, jamais rien de fenti, rien d'approfondi. Le travail du foir étoit imprimé le lendemain. Les Journaux parloient de lui avantageufement; il inféroit dans les Mercures des vers galans,

de jolis contes, des réponses amoureuses, des questions d'amour, tout paroiffoit bon dans ce cadre, parce qu'un tableau efface l'autre, & que l'effet eft décidé par le fuccès d'une première lecture. Il fut fêté, couru, & on peut dire qu'il mit fa réputation littéraire au comptant. Il eut tort certainement, & il en eut un plus grand de courir après ces petites modes qui naiffent & tombent, & ne font que de l'enjouement. Dans toutes ces productions, l'efprit fe diffipe en inutiles prodigalités, & rien ne refte; parce que rien ne peut marquer. Cette facilité d'écrire produifit la lettre à Jean-Jaques Rousseau, au fujet de la lettre à d'Alembert.

On doit voir que nous ne nous arrêtons point fur les ouvrages & le talent de M. de Baftide par un motif de malveillance, nous lui rendons plus de justice que tous les poligraphes qui ont parlé de lui & qui l'ont jugé avec une injufte prévention. Nous prouvons qu'il a beaucoup d'efprit, qu'il y en a dans tout ce qu'il a fait, qu'il auroit pu mieux faire, & nous ne lui reprochons que d'avoir trop négligé l'érudition, & d'avoir trop couru vers des fuccès faciles & la gloire

d'un jour. Ce défaut de calcul ne prouve rien contre le talent. Il a aimé les lettres & il les a cultivées toute fa vie; il a exécuté des entreprises littéraires qui doivent le claffer parmi tous ceux qui ont bien mérité du public. S'il n'avoit eu Marivaux pour modèle & pour rival, il auroit recueilli plus de célébrité de fon nouveau fpectateur. Mais on ne lui difputera point le mérite d'avoir mis à exécution & de foutenir la Bibliothèque des Romans. Il est vrai qu'il a dû à M. le marquis de P..... le plan de cette collection fi variée & fi intéreffante, dans laquelle l'érudition la plus vaste & l'agrément des plus riantes fictions se réuniffent, & qu'il a été aidé pendant plufieurs années par cet homme de qualité, auffi favant que rempli de goût. Jamais on ne conçut un projet plus heureux & plus fait pour réuffir. On rendoit un véritable fervice à la littérature françoise, en retirant de la pouffière des bibliothèques, ces vieux romans qu'on ne lifoit point, & qui font fi intéreflans à lire, on claffoit enfin une branche littéraire que fa trop grande richeffe décrioit. On faura toujours gré à M. de Baftide d'avoir foutenu fon entreprise &

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