Imágenes de páginas
PDF
EPUB

HARVARD COLLEGE LIBRARY
FROM THE LIBRARY OF

KC 17044

FERNANDO PALHA
DECEMBER. 3, 1028.

4

EPISTRE

DU

TRADUCTEUR

A UN AM I.

Ous voulûtes abfolument, Monfieur, que la Lettre que j'eus l'honneur de vous écrire en 1689. devînt publique on me la redemande aujourd'hui, & bien des gens fe font plaints à moi, de ce qu'ils ne l'ont pas retrouvée à la tête du Juvénal dans la derniere édition de 1706. Croïez-vous qu'ils aïent raison ? Pour moi j'en doute fort; car j'y découvre quelques traits de jeuneffe qui ne me conviennent plus. Non eadem eft atas, non mens. J'y avois peut-être trop efficacement remedié dans la fuite, en la fupprimant prefque toute. Je trouve aujourd'hui un expedient, qu'apparemment vous ne désapprouve

rez pas. C'eft de remettre au jour ce qu'on y remarqué de paffable, & qui pourroit être de quelque utilité. L'occafion en eft favorable. Voici une nouvelle édition; elle me paroît plus litterale & plus éxacte que celles qui ont précédé; peut peut-être qu'on la lira plus volontiers, quand on la verra égaïée de nouveau par les trois caracteres que je vous ai faits autrefois des trois anciens Poëtes fatiriques tous differens, chacun felon fon humeur. Je les ai étudiés tous trois, & je les ai examinés de plus près, que je n'avois fait, afin de vous les mieux peindre. Généralement parlant, Horace eft un Epicurien délicat, des plus déliés folide néanmoins dans de louables & bonnes maximes prifes abfolument & en elles-mêmes : il eft du refte fort plaifant & fort enjoué. Perfe eft obfcur, férieux & poli, d'un ftile vif & preffé, il dit beaucoup en peu de mots, il est d'une fevere morale, & prétend néanmoins être grand rieur ; je ne vois pas pourquoi. Pour Juvénal, il m'a paru depuis vingt ans s'humaniser un peu: je ne fçai d'où cela vient peut-être que comme il y a long-tems que je le connois, & que me fuis, pour ainfi dire, familiarifé avec lui à force de retoucher cette traduction, il est devenu insensiblement d'un plus facile accès à mon égard. Dans le fond, quand je l'éxamine, fon humeur n'a guére changé ; il a toujours l'air cha grin, & fon portrait gravé au commencement de ce Livre, & animé de ce joli mot qui vient de lui.

je

Ferit indignatio verfum, le repréfente affez dans fon naturel. Je ne laifferai pas cependant de l'adoucir, & de le rendre un peu moins mifantrope; auffi-bien feu Monfieur des Préaux trouvoit, à ce qu'il me dit une fois, que j'avois trop outré le caractere de ce Poëte: Vous fçavez que ce fameux fatirique de nos jours le connoiffoit parfaitement, & qu'il étoit juge équitable en telles affaires, & fur-tout excellent critique.

Pour commencer donc par l'aîné de Juvenal, Perfe étoit de qualité, riche, beau, de fort bonne mine ; ce qui ne fait pas toujours le vrai méri

te,

il s'en faut bien; rien n'y eft même quelquefois plus contraire ; vous voïez cela tous les jours. Il avoit avec ces avantages, le naturel admirable, & les meilleures inclinations du monde ; car outre que fa complexion le réduisoit à être fobre & tempérant; une certaine pudeur répanduë fur fon vifage & dans toutes fes manières, le rendoit aimable. Oui, Monfieur, il étoit chaste & modefte naturellement & par choix tout enfem ble; zelé partifan de la vertu, ennemi déclaré du vice, il y paroît dans fes Satires; fort ménager de fon tems; inviolablement attaché à tous les devoirs de la vie civile, fage, difcret, officieux, complaifant, liberal & œconome à propos, obligeant, génereux, compatiflant aux chagrins des perfonnes qu'il fçavoit être dans l'indigence, & qui ne méritoient pas d'y être. Il étoit très-bon ami, encore meilleur fils, meilleur frere & meil

que

leur parent. En effet, il avoit une amitié folide & effective pour fes foœurs, & une tendreffe ref pectueuse pour Fulvia fa mere, quoique remariée : & s'il étoit extrêmement pupille, quand fon pere mourut.; s'il n'avoit que fept ou huit ans, lorfque Fulvia fit cette... [ le mot de folie m'eft prefque échappé, mais il faut ufer de retenue à l'égard du fexe] il n'étoit déja que trop éclairé pour concevoir cela n'étoit pas plaifant. Car la raifon s'ouvre beaucoup dans ces conjonctures; elle devient animée, & n'attend pas toujours le tems prefcrit pour faire fes réflexions, fur tout quand elle fe trouve dans un fujet affez bien difpofé pour la fatire. Mais il faut tout dire, Monfieur, le fecond mari mourut bientôt, & laiffa Perfe dans la fuite, en état de refpecter & d'aimer fa mere d'auffi bonne foi qu'il le faifoit n'étant encore qu'enfant. Je ne fçai fi Fulvia prit grand foin de l'éducation de fon fils, & fi elle ne s'aimoit point un peu trop, pour ne pas négliger une affaire de cette importance; c'eft de quoi je ne répondrois pas, car les fecondes noces des jeunes veuves détournent fort de ces fortes de foins. Mais de quoi je puis répondre, c'est que ce Chevalier Romain, quelque jeune qu'il fût, ne négligea rien pour fe rendre auffi accompli que je viens de vous le dépeindre; puifqu'il quitta Volterre d'où il étoit, & alla fe faire inftruire à Rome dans les belles lettres, pour lesquelles il avoit beaucoup de génie: auffi s'en fit-il fa prin

« AnteriorContinuar »