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L'Abbé de Rancé devient l'aîné de fa Maifon par la mort de fon frere; on l'engage dans l'état Ecclefiaftique. Progrés furprenans qu'il fait dans les belles Lettres. Son excellent naturel; mort de La mere.

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A mort de fon frere aîné, qui arriva dans ce même tems, obligea Monfieur de Rancé de changer les vûës qu'il avoit pour fon établitlement; if luy fit quitter l'épée, qu'il fit prendre à fon cadet, & l'engagea dans l'état Ecclefiaftique. Comme il s'agiffoit de fauver les Benefices de fon aîné, Monfieur de Rancé, qui n'étoit pas riche, pour un homme de fa condition, crut qu'il l'an ne pouvoit fe paffer de ce fecours, & le jeune Abbé de Rancé n'avoit pas encore affez de lumieres pour connoître 1 irregularité d'une conduite qui fait du patrimoine des pauvres la reffource la plus ordinaire des familles; il le comprit depuis, & ce fut ce qui donna lieu à ces reftitutions fi édifiantes qu'il fit lors de fa converfion aux dépens de fon patrimoine.

1636.

L'Abbé de Rancé en fuccedant à la qualité d'aîné qu'avoit fon frere, fucceda, pour ainfi dire, à fes Benefices, & Monfieur de Rancé luy en procura bientôt d'autres; en fort peu de tems il fe vit Chanoine de Nôtre-Dame de Paris, Abbé de la Trappe, de l'Ordre de Cîteaux, de Notre-Dame du Val, de l'Ordre de S. Auguftin, & de S. Simphorien de Beauvais, de l'Ordre de S. Benoift. Outre ces Abbayes, Monfieur de Rancé obtint encore pour luy le Prieuré fimple de Boulogne, prés de Chambort, de l'Ordre de Grammont, & celuy de S. Clementin en Poitou; de forte qu'à l'âge de dix à onze ans, n'ayant rendu aucun fervice à l'Eglife, n'étant pas même en âge de luy en rendre, il jouiffoit de quinze à vingt mille livres de rente des revenus Ecclefiaftiques. L'ufa

ge

autorifoit cet abus, ou pour mieux dire, la cupidité s'en faifoit un pretex

te, comme elle s'en couvre encore aujourd'huy.

L'Abbé de Rancé regarda fon enga gement dans l'état Ecclefiaftique comme un nouveau motif de s'appliquer à l'étude; fon inclination l'y portoit: l'obligation où il fe vit d'être fçavant pour parvenir aux fins qu'il commençoit dés

lors de fe propofer, fortifia cette inclination. Il avoit la memoire heureuse, il apprenoit aisément & n'oublioit jamais ce qu'il avoit une fois appris: la vivacité de fon efprit répondoit à fa memoire, & l'application dont il étoit capable égaloit l'un & l'autre ; de forte qu' il fe fit admirer dans un tems où l'on connoît à peine les perfonnes de fon âge. Les belles Lettres faifoient alors toute fon application; il y fit de fi grands progrès, qu'à l'âge de douze ans il fçavoit toutes les delicateffes de la langue Grecque, & de la Latine. Cela pourroit paffer pour une éxageration, fi on ne luy avoit vû expliquer les Poëtes Grecs & Latins avec une égale facilité, & fi nous n'en avions encore des preuves fubfiftantes aufquelles il n'eft pas poffible de rien oppofer.

On fçait que le Roy voulant donner une Abbaye à l'Abbé de Rancé, qui n'avoit alors qu'onze à douze ans, le Pere Cauffin Confeffeur du Roy s'y oppofa, il fe fondoit fur la grande jeuneffe de l'Abbé, fur l'incapacité ordinaire aux enfans, & fur le peu de fond qu'on peut faire fur un âge fi tendre, & fi fujet au changement. On luy parla en vain de la beauté du genic de

l'Abbé de Rancé, de fes talens, de fes, progrès furprenans dans les Sciences, & de la jufte efperance qu'on pouvoit concevoir qu'il feroit un jour tres-utile à l'Eglife; le Pere Cauffin ne voulut s'en rapporter qu'à foy-même; on luy mene le jeune Abbé, il l'interroge, il l'examine, & tout furpris de fes réponfes, il luy prefente enfin un Homere à expliquer. Comme il vit qu'il le faifoit fans hefiter, il crut qu'il s'aidoit de la verfion Latine qui étoit à côté du Grec; pour luy ôter ce fecours il prend les gants de l'Abbé & en couvre la verfion Latine. Le jeune Abbé continua à expliquer Homere avec la même facilité. Le Pere Cauffin convaincu, l'embraffant tendrement luy dit en riant, qu'il avoit les yeux d'un lynx, qu'il voyoit au travers de fes gants, & depuis ce tems-là il ne s'oppofa plus aux graces que le Roy voulut luy faire.

creon;

L'Abbé de Rancé n'avoit pas plus de douze ans lors qu'il donna au public une nouvelle édition des Poëfies d'Anail l'accompagna d'un Commentaire Grec qui fut admiré des Sçavans. Cet ouvrage fut imprimé à Paris en 1639. & il le dedia au Cardinal de Richelieu. Le tems n'a rien diminué de

l'étonnement que ce Commentaire caufe encore tous les jours à ceux qui le comparent à la tendreffe de l'âge où étoit alors fon auteur. Il fit dans ce même tems une Traduction Françoife de ce même Poëte. Ceux qui travailloient dés lors à la perfection de nôtre Langue y trouverent tant de beautez, qu'il fut aifé de juger que peu de gens l'éga

loient dans la connoiffance des Langues Grecque & Latine, perfonne ne le furpafferoit dans l'intelligence parfaite de

Françoife. En effet aucun n'en a mieux connu toutes les beautez, & tout ce que nous avons de luy eft écrit avec tant de goût, d'élevation & de politeffe, qu'on eft forcé d'avouer qu'on ne peut ní mieux penfer ni mieux écrire. La bonté de fon cœur égaloit, ou même furpaffoit la beauté de fon efprit; il l'avoit tendre, genereux, fincere, naturellement bienfaifant, toûjours prêt à entreprendre les chofes les plus difficiles pour le fervice de fes amis. Jamais on n'a porté plus loin l'amour tendre & refpectueux que nous devons à ceux de qui nous avons reçu la vie ; & perfonne n'a été plus exact à tous les devoirs que les liaifons du fang exigent

de nous.

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