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On remarque à cette occafion qu'il n'a defobéï qu'une feule fois à M.de Rancé; Voicy quel en fut le fujet. La Reine Marie de Medicis ayant rompu avec le Cardinal de Richelieu d'une maniere fi éclatante, qu'il n'y avoit plus lieu d'ef perer de fa part aucun retour, Monfieur de Rancé qui occupoit une des premieres Charges de fa Maifon, fe crut obligé de ne plus voir le Cardinal. Il fuppofa que la chofe parlant d'elle-même, fon exemple fuffiroit pour empêcher l'Abbé de Rancé de continuer à faire fa cour à cette Eminence. Mais ayant remarqué qu'il n'en étoit pas moins affidu auprés d'Elle, il luy défendit expreffément de voir le Cardinal. Cette défenfe embarraffa l'Abbé au dernier point. D'un côté il ne pouvoit fe refoudre à defobeïr à fon pere, & de l'autre, outre que le Cardinal étoit fon parrain, comme cette Eminence fe connoiffoit parfaitement en hommes, le Cardinal avoit penetré tout ce que le jeune Abbé pourroit être un jour, & pour fe l'attacher il avoit pour luy des bontez qui flattoient agreablement fon ambition. Rien n'eft plus féduifant que les careffes d'un grand Miniftre. L'Abbé reprefenta fur cela à Mont

fieur de Rancé qu'une perfonne de for age étoit fans confequence, & que d'ailleurs les obligations qu'il avoit au Cardinal, & celles qu'il pourroit luy avoir à l'avenir ne luy permettoient pas de rompre avec luy; qu'il le prioit d'agréer qu'il continuât de luy rendre ce que la reconnoiffance & le devoir exigeoient également de luy. Monfieur de Rancé, qui fe croyoit refponfable à la Reyne de la conduite de fon aîné, & qui d'ailleurs n'aimoit pas à être contredit, reïtera fes défenfes, & le fit d'une maniere à faire comprendre à l'Abbé qu'il vouloit être obéi. L'Abbé trouva cet ordre fi dur & fi à contre-tems, qu'il ne put fe refoudre à y deferer. Il continua à voir le Cardinal, mais ce fut avec tant de précautions, que Monfieur de Rancé n'en fçut rien, ou jugea à propos de le diffimuler. La mort du Cardinal le tira enfin de cet embarras. Il fentit vivement combien cette mort dérangeoit fes projets. L'Abbé avoit fes vûës, la Providence en avoit d'autres; heureux qui les fçait connoître, plus heureux qui fçait s'y foumettre, & les aimer.

Il avoit perdu quelques années auparavant Madame de Rancé, qui l'aimoit

avec une tendreffe infinie. Jamais mere n'a été plus touchée des belles qualitez de fon fils; on peut dire qu'elle ne vivoit que pour luy. Le jeune Abbé de fon côté avoit une attention continuelle à luy témoigner fa reconnoiffance. Pendant fa derniere maladie on ne pouvoit l'arracher d'auprés d'elle, & cette bonne mere prenoit volontiers de fa main ce qu'elle eût refufé de toute autre. Le mal plus fort que les remedes l'emporta; elle mourut entre les bras de fon fils; il la pleura, il en fut long-tems inconfolable, & l'on peut dire que la mort d'une perfonne fi chere fut la premiere leçon que Dieu luy donna fur la fragilité des chofes humaines. Ce fut pour luy une perte irreparable. Les affaires dont Monfieur de Rancé étoit accablé ne luy permettoient plus de veiller fur fon éducation auffi affiduëment qu'il l'eût fouhaité; il le perdoit fouvent de vûë. Les foins & les bons exemples d'une mere fi vertueufe y avoient fuppléé jufques alors; il jouit trop tôt de cette liberté fi douce, mais fi funefte aux jeunes gens.

CHAPITRE III.

L'Abbé de Rancé étudie en Philofophie & en Theologie avec un fuccez extraordinaire. Il dedie fes Thefes à la Reine Mere. Il donne dans Aftrologie judiciaire. Ses grands talens pour l'éloquence. Mort de Son pere: avis important qu'il luy donne avant fa mort.

COMME l'Abbé de Rancé fçavoit

des belles Lettres tout ce que fes Maîtres étoient capables de luy en apprendre, il fut envoyé au College d'Harcourt pour y étudier en Philofophie; il y eut tout le fuccez qu'on avoit lieu d'attendre de la vivacité & de la penetration de fon efprit ; il foûtint des Thefes qu'il dédia à la Reine Anne d'Autriche, & il s'y fit admirer de la Cour & de la Ville; mais il donna dans un piege tres-dangereux, l'étude de l' Aftronomie le conduifit à celle de l'Aftrologie judiciaire. Cet efprit avide de tout fçavoir, capable de tout apprendre, ne fe contenta pas de la con

noiffance des chofes que la nature nous met devant les yeux. Il voulut penetrer dans l'avenir; cette connoiffance que Dieu s'eft refervée, & que les hommes ne peuvent affecter fans crime, luy parut digne d'un efprit auffi fublime que le fien; il crut que la deftinée des hommes étoit écrite dans les Aftres, & qu'il luy étoit permis de l'y chercher. Les inconveniens de cette fauffe fuppofition, la liberté détruite, les actions humaines foumifes à une fatalité inévitable, toute l'œconomie de la Religion renverfée, l'incertitude & la fauffeté même des prédictions des Aftrologues; tout cela ne fut pas capable de le guerir de cette dangereufe curiofité. Il ne connut plus cette fage fobrieté fi recommandée par l'Apôtre, & s'abandonna tout entier à l'avidité qu'il avoit de tout fçavoir.

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L'étude de la Theologie fufpendit pour un tems des recherches fi dangereufes; il s'y donna tout entier, parce qu'il vouloit l'emporter fur tous fes concurrens & que l'ambition étoit alors fa paffion dominante. Il fut un des premiers qui joignit à l'étude de la Scolaftique celle de l'Ecriture Sainte, des Peres, & des Conciles. Il eut bienôt compris quelle étoit la veritable

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