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roit rien pour la détruire; que ces pro cès feroient infailliblement portez à Rome; que les Réformez ne manqueroient jamais de l'y députer; qu'il avoit trop d'eftime, trop d'amis, & trop de confideration dans le monde, pour pouvoir croire que leur choix tombât fur un autre. Qu'on lui feroit un merite de l'obeiffance & de la défenfe d'une Réforme dans laquelle il se feroit engagé, & qu'on ne voyoit pas comme il pourroit s'en défendre. Qu'il arriveroit de-là, qu'au lieu du filence & de la retraite qu'il cherchoit, il fe verroit engagé plus que jamais dans le tumulte du monde, dans des follicitations & des intrigues, & fur tout dans des procès qui étoient fi peu compatibles avec cette charité douce & paifible, qui eft l'ame du Chrif tianifme, & le veritable caractere de l'état Religieux. Que rien ne l'empêchoit fans changer d'état & d'habit, de pratiquer toutes les vertus chrétiennes & religieufes dans le degré le plus émi nent; qu'en un mot, il eftimoit & ref pectoit la vie Religieufe, mais qu'il ne croyoit pas qu'elle lui convint.

L'Abbé de Rancé qui étoit perfuadé du contraire, crut prendre le Pere de Mouchy par fon foible, en lui represen

tant tout ce que l'Evêque de Comminges lui avoit dit contre l'état d'Abbé Commendataire en faveur de l'état d'un Abbé Régulier. En effet, le Pere de Mouchy qui étoit un grand zelateur des anciens Canons de l'Eglife, & de la difcipline des premiers fiecles, ne pouvoit pas nier que dans l'origine de tous les Ordres Religieux tous les Abbez n'euf. fent été Réguliers ; & fuivant ces maxiles Abbez Commendataires ne devoient pas être de fon goût. D'ailleurs l'eftime qu'il faifoit de l'Evêque de Comminges rendoit fon autorité d'un grand poids. Cette difficulté l'embarraffa fans le faire changer de fentiment à l'égard de l'Abbé de Rancé. Ainfi le parti qu'il prit, fut de lui confeiller de ne rien précipiter, de fe donner tout le temps neceffaire pour s'éprouver,& pour mieux connoître la volonté de Dieu.

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Prés de trois mois fe pafferent de la forte, fans que l'Abbé de Rancé changeât de fentiment, & que le Pere de Mouchy pût fe refoudre à approuver fa refolution. Cependant l'état où fe trouvoit l'Abbaye de la Trappe, demandoit la prefence de l'Abbé pour donner ordre aux reparations. Le Pere de Mouchy lui confeilla d'y retourner, & de ne rien

refoudre fans lui en donner avis. L'Abbé partit; mais il ne fut pas fi-tôt arrivé à la Trappe, qu'il fe fentit une nouvelle ardeur pour l'état Religieux. Cette penfée l'occupoit fans ceffe, & il croyoit connoître fi clairement que Dieu demandoit de lui, qu'il lui fift encore ce facrifice, qu'il ne pouvoit affez s'étonner que le Pere de Mouchy avec toutes les lumieres s'opposât à fa refolution. Il paffa fix femaines dans ces agitations, aprés lefquelles ne pouvant plus refifter à la fainte impatience qui l'entraînoit vers la folitude, il en écrivit au Pere de Mouchy, & partit auffi-tôt pour Paris, dans le deffein de prendre enfin avec lui une refolution conforme à ce qu'il croyoit que Dieu demandoit de lui.

Le Pere de Mouchy perfiftoit toujours dans fes premiers fentimens ; mais enfin l'Abbé de Rancé lui ayant rendu un compte exact de fes difpofitions, & de, tout ce qui fe paffoit dans fon cœur, le Pere de Mouchy aprés avoir confulté plufieurs perfonnes de pieté, fe rendit & approuva fa refolution.

L'Abbé de Rancé fe voyant en liberté 'de fuivre les mouvemens de fon cœur, crut qu'il ne devoit plus faire un fecret de la refolution qu'il avoit prife, Voicy

comme il en écrit à un de fes amis. Je ce fuis perfuadé que vous ferez furpris « quand vous fçaurez la refolution que « j'ay formée de donner le refte de ma ce vie à la penitence sous l'habit & dans ce la réforme de faint Bernard, Dieu m'a ce conduit par des voies qui m'étoient e fort inconnues pendant plufieurs an- « nées; mais enfin, depuis huit ou dix » mois que fa mifericorde m'a infpiré « le fentiment dans lequel je fuis, j'ay « commencé à voir plus clair que je n'a- «< vois pas fait, & je fuis prefentement » convaincu, que l'état dans lequel il ce veut que je m'engage, eft celui de la vie religieufe. Cela paroîtra étrange à «< ceux qui mefurent toutes chofes par ce les coutumes & les manieres ordinai- « res d'agir des hommes, & qui croyent «e que ce qui eft établi par la plus grande « partie du monde, eft ce qui doit être « pratiqué de tous. Mais en verité, L'on pense ferieusement & fans préven- « tion à la neceffité dans laquelle font « tous les Chrétiens de vivre dans la pe-a nitence, & à l'obligation de ceux qui « ont été dans le commerce du monde, on aura bien plus de fujet de s'étonner qu'il y en ait qui s'imaginent fe don- » ner à Dieu avec des ménagemens

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» & des referves qui offensent fa justice; qui n'appaifent point fa colere, qui ne conviennent nullement à l'état » d'un pecheur, qui doit revenir à Dieu » par la voye d'une converfion fincere, » & d'un veritable renoncement à tou» tes choses. Dieu veuille fe contenter

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» du peu que je fais, & du defir que » j'ai d'en faire davantage, fi je n'étois » retenu par le poids de mes pechez. Je fçai que plufieurs fiecles de la vie » que je veux embraffer, ne peuvent » pas fatisfaire pour un moment de celle » que j'ai paffée dans le monde, & fi je ne trouvois dans l'excés des mifericordes de Dieu, ce que je ne puis » trouver dans mes actions, quelque. changement qui arrive dans ma perfonne, je vivrois fans confolation fur » la terre. Mais je vous avoue, que com» me la confiance que j'ai en fes bontez, » m'empêche de tomber dans cette ten»tation; elle m'angage auffi à un aban» don entier à fa Providence, de forte » que je me remets de tout à fa con» duite, & je lui laiffe pour jamais la difpofition de ma perfonne, & de tout ce que je fuis.

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L'approbation que le Pere de Mouchy avoit donné au nouveau genre de

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