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» Monfieur l'Abbé, vous pourriez fai»re quelque chofe de mieux que ce que

vous faites fi vous le vouliez, il ne » vous manque pour cela ni talens ni » lumieres. Quelquefois il luy difoit en

core: Je fuis affeuré que vôtre bon » cœur vous reproche fouvent le peu » que vous faites pour Dieu, aprés tout » ce qu'il a fait pour vous. D'autres

fois il ajoûtoit: Si quelqu'un avoit " fait pour vous la centiéme partie des » chofes dont vous êtes redevable à la » bonté de Dieu, de l'humeur dont je » vous connois, vous vous mettriez en pieces pour luy. Mais il eft inutile de » parler aux oreilles du corps, lorfque Dieu ne parle pas à celles du cœur.

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Ce n'eft pas que l'Abbé de Rancé fût toûjours d'accord avec luy-même, fes lumieres combattoient fes paffions, il fe jugeoit, il condamnoit même quelquefois les égaremens ; il alloit jufqu'à faire des efforts pour rompre fes liens. Mais fes efforts étoient femblables à ceux qu'un homme accablé de fommeil fait quelquefois pour s'éveiller, & qui n'aboutiflent fouvent qu'à le plonger dans un fommeil plus profond.

Dieu le permettoit ainfi pour faire paKoître avec plus d'éclat la toute-puiffan

ce de fa grace, & les richeffes infinies de fes mifericordes fur l'Abbé de Rancé. Il vouloit animer par fon exemple les pecheurs qui voudroient revenir à luy, & le rendre d'autant plus humble & d'autant plus fenfible aux égaremens de ceux qu'il vouloit mettre fous fa conduite, qu'il auroit éprouvé luy-même une partie de leurs malheurs, & qu'il auroit appris par fa propre experience quelle eft la force des paffions, combien il eft difficile de ne s'y pas laiffer entraî& combien il en coûte pour en

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revenir.

Cependant plus il avançoit en âge, plus il s'égaroit. Un jour qu'il étoit dans fa belle maifon de Veret avec trois de fes amis, aprés s'être bien divertis, ils prirent une refolution des plus extravagantes. Ce fut de mettre chacun mille pistoles dans une bourfe, & d'aller comme des Chevaliers errants tant leur argent dureroit, chercher leurs avantures par terre & par mer, par tout où le vent les pourroit porter; ce fut le terme dont ils fe fervirent. On juge affez à quoy pouvoit aboutir une pareille partie, à quels defoidres, à quels dangers s'expofoient ceux qui l'a voient faite. Ils étoient prêts de l'exe

que

cuter, lorsque Dieu la rompit par des moyens imperceptibles, aufquels il ne fembloit pas qu'il eût part. Ils étoient pleins de leur projet, ils fe repaiffoient de mille chimeres, lorfque l'un d'eux fut pourvû par le Roy d'une Charge confiderable: il fallut partir pour l'en aller remercier, & pour entrer en exercice. Ils fe feparerent, & de nouveaux obftacles qui furvinrent depuis, les empêcherent de fe rejoindre. Mais l'Abbé de Rancé n'eût pas manqué d'autres occafions de fe perdre, fi Dieu, qui le regardoit toujours des yeux de fa mifericorde, n'eût commencé de le rappeller à luy-même par des accidens imprévûs, dont la fortune toute feule paroiffoit fe mêler. Le premier de ces accidens fut la mort de Leon le Bouthillier, Comte de Chavigny, Miniftre d'Etat, fon coufin germain; il avoit fuccedé à la faveur de fon pere, & même il l'avoit furpaffée. La fin de fa vie ne fut pas fi heureufe; mais quoy qu'il eût beaucoup perdu de cette faveur éclatante qu'il avoit acquife fous le miniftere du Cardinal de Richelieu, il avoit en care affez d'amis pour appuyer une partie des projets ambitieux de l'Abbé de Rancé. Il fentit vivement cette mort,

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mais d'une manicre toute humaine; la grace ne faifoit encore fur luy que de tres-foibles impreffions, & les paffions tumultueufes, dont il étoit poffedé, l'empêchoient d'entendre la voix de Dieu, qui s'expliquoit fi clairement par une mort fi contraire à fes deffeins. Un autre accident qui luy arriva dans ce même tems, donna lieu à de nou. velles reflexions. Il étoit allé fe promener fur le terrain qui eft derriere l'Eglife de Notre-Dame de Paris; il avoit porté fon fufil, parce qu'il aimoit à tirer: des gens qui étoient fur l'un des bords de la riviere, ou par mégarde, ou à deffein, tirerent fur luy. Les bales qui devoient le percer, donnerent dans l'acier de fa gibeciere qui en arrêta le coup. Ce fut ce qui le fauva ; fans quoy il reftoit mort fur la place; la protection de Dieu étoit trop visible pour ne la pas reconnoître ; il en fut touché, & dans le premier mouvement de fa reconnoiffance il ne put s'empêcher de s'écrier: Helas! que devenois-je, fi Dien n'eût eu pitié de moy?

1655.

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L'Abbé de Rancé eft deputé à l'Affem. blée generale du Clergé. Marques d'estime qu'il reçoit de cette Affemblée. Il eft reçu en furvivance à la Charge de premier Aumônier de Gafton de France, Duc d'Orleans. Une fauffe confidence l'oblige de fe retirer de cette Affemblée avant qu'elle fût terminée. Ses amis l'en blâment; il justifie fa retraite.

L luy arriva des chofes dans ce mê

xion d'aller plus loin. L'Archevêque
de Tours le fit élire Deputé de fa Pro-
vince, pour l'Affemblée generale du
Clergé qui fe devoit tenir à Paris. Il
partit pour s'y rendre. L'Affemblée
commença le vingt-neuviéme d'Octo-
bre 1655. Elle eft fameuse tant par fa
durée , qui fut de prés de deux ans, que
par les grandes affaires qui s'y traitte-
rent. L'Abbé de Rancé eut beaucoup
'de
part à tout ce qui s'y paffa de plus
confiderable. On voit dans le procés

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