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feroit Moine dés le lendemain, L'Evêque répondit que la matiere meritoit bien qu'il s'en inftruisît à fond, & qu'il prît fur cela confeil de perfonnes éclairées & defintereffées; mais que pour luy il ne vouloit rien décider. Cette reflexion de l'Evêque de Comminge ne fit pas alors une plus forte impreffion fur fon efprit, mais le même Evêque l'ayant depuis appuyée plus fortement, il prit enfin la refolution qu'on verra dans la fuite de cette Hiftoire.

Sa droiture & fon amour pour l'équité ont encore été, au fentiment de ceux qui l'ont connu, une des principales caufes de fa converfion. On raconte fur cela, qu'ayant été deputé avec un Archevêque d'une habileté diftinguée au Cardinal Mazarin, pour luy reprefenter quelque chofe d'important au Clergé de France, l'Archevêque accommoda ce qu'il avoit à reprefenter aux intentions de ce Miniftre; & trahiffant les interêts & les fentimens du Corps qui l'avoit deputé, il dît toute autre chofe que ce que portoit fa commiffion, L'Abbé de Rance, qui n'étoit pas char gé de porter la parole, eût pû diffimuler cette infidelité; il ne pouvoit pas même la relever fans fe faire un enne

mi de l'Archevêque, fans offenfer le Miniftre, & fans nuire à fa fortune, qui dépendoit abfolument du Cardinal. Čes confiderations ne furent pas capables de le porter à diffimuler une prevarication fi honteufe. Il avertit l'Arche vêque qu'il s'acquittoit mal de fa commillion. Ce Prelat en fut offenfé au dernier point, & le Cardinal ne put diffimuler que cette liberté luy avoit déplû. Cependant, comme le caractere de la vertu eft de forcer fes ennemis mêmes à l'eftimer, le Cardinal ayant fait reflexion à la droiture qui paroif foit dans l'action de l'Abbé de Rancé, il l'en eftima davantage, & luy fit demander fon amitié. De pareils traits de fermeté & d'amour pour la juftice ne font jamais fans recompenfe de la part de Dieu. Heureux qui s'attire par de pareilles actions une auffi grande grace que celle d'une parfaite converfion.

A ces difpofitions j'en ajoûteray une autre qui tient un des premiers rangs entre les vertus humaines; c'eft le defintereffement, & une certaine grandeur d'ame qui eft fi rare parmi les hommes. Ce fut un des principaux caracteres do l'Abbé de Rance; il avoit fes veuës, il "fongeoit à s'élever: mais ce ne fut ja

mais

par des voyes baffes & obliques, ny aux dépens de la juftice, de la fincerité & de l'amitié. C'eft ce qui luy fit rejetter des propofitions qu'on luy fit, touchant la Coadjutorerie de Tours Rien n'étoit plus feur, mais il falloit parler contre fes propres fentimens, appuyer un parti qu'il n'approu voit pas, & abandonner fes amis. Son ambition s'en fût accommodée; fon cœur n'en put convenir, l'irregularité des moyens ne luy permit pas de les fuivre. Cette grandeur d'ame le follicifoit fans ceffe à entreprendre de grandes chofes felon le monde; c'eft ce qui fit juger qu'il iroit loin, s'il fe tournoit jamais du côté de Dieu.

Enfin l'on peut dire que ce qui a le plus contribué à attirer fur luy cette abondance de graces, dont le Pere des mifericordes l'a prévenu, a été fa tendreffe pour les pauvres, & fa compaffion pour les affligez. La vie molle & fenfuelle forme d'ordinaire une dureté impenetrables à force de s'aimer on devient infenfible pour tous les autres hommes. L'Abbé de Rancé eut toujours le cœur tendre pour les miferes d'auFruy. On ne parlera point icy des chofes extraordinaires que fon amour pour les

pauvres

pauvres lui fit faire depuis fa converfion. On rapportera un feul exemple de fa charité. Lors qu'il étoit encore engagé dans le monde, une pauvre femme qui le connoiffoit, & qui le voyoit fouvent aller & venir par fon Village, ayant fçû qu'il y devoit bien-tôt paffer, fe tint fur le chemin pour luy demander l'aumône. L'Abbé paffa, & cette femme s'étant prefentée devant luy, il lá renvoya à fon valet de chambre qui venoit quelques pas derriere luy. Mais au lieu de luy demander l'aumône, elle fit femblant qu'il l'avoit fait tomber en paffant. A ces cris l'Abbé revint fur fes pas, & aprés avoir blâmé fon valet de chambre de ce qu'il prenoit fi peu garde à luy, il dit à cette femme tout ce qui pouvoit fervir à l'appaifer, & luy donna deux pistoles. A peine étoit-il à cent pas de là, qu'il fit reflexion que cette femme luy avoit dit qu'elle étoit groffe, & qu'elle s'étoit bleffée. Sa compaffion luy reprefenta dans ce moment que deux piftoles étoient un fecours bien foible l'état où elle fe trouvoit; il revint, & luy en donna encore quatre. Si l'on compare cette aumône aux grandes charitez qu'il a faites depuis fa converfion, elle ne paroîtra prefque I. Partie C

pour

rien. Cependant elle marque un cœur fi tendre & fi fenfible aux maux du prochain, qu'on n'a pas crû la devoir omettre; auffi celuy qui a promis qu'un verre d'eau froide donné à un pauvre en fon nom, ne feroit pas fans recompenfe, n'oublia pas cette action. Elle trouva grace devant luy, elle fut fuivie de l'entiere converfion de celuy qui l'avoit faite.

CHAPITRE IX.

L'Abbé de Rancé penfe ferieufement à fa converfion: il fait une retraite à l'Inftitution des Peres de l'Oratoire. Il retourne à Veret.

Q

UOIQUE l'Abbé de Rancé continuât de vivre à Veret avec les amis, à peu prés comme il avoit vêcu jufques alors, il ne joüiffoit plus de cette fauffe tranquillité dont le calme trompeur a perdu, & perd encore tous les jours tant de monde. Les momens de Dieu approchoient, & ces tems de mifericorde marquez de toute éternité, commençoient à fe développer. Cette paix funefte qui conduit enfin à l'endur

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