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& ils trouvent toûjours des obftacles quand ils penfent à fe convertir. Telle étoit la fituation de la Cour du Duc d'Orleans, lorfque l'Abbé de Rancé s'y rendit. Tout le monde avoit les yeux fur luy; chacun le regardoit comme un reformateur fâcheux qui venoit troubler fes plaifirs. On étoit en garde contre luy, on ne penfoit qu'à traverfer fes bons deffeins, & à le mettre mal dans l'efprit du Prince.

Cependant, comme le changement de vie de l'Abbé de Rancé n'avoit point alteré fa politeffe, & qu'il avoit toûjours les mêmes agrémens dans fes manieres & dans fa conversation, il n'eut pas de peine à gagner la confiance du Duc d'Orleans, & même celle de la plus-part de fes Courtifans. L'eftime que fes grandes qualitez luy attiroient, en avoit ouvert le chemin, la conformité de fes deffeins avec ceux du Prince, fon adreffe, ou plutôt un certain charme qui accompagne toûjours la vertu, fit le refte.

Le Duc d'Orleans luy ouvrit fon cœur, & ne fit pas difficulté de luy avoüer, qu'il avoit quelques preffentimens de fa mort, qui luy donnoient de grandes inquietudes par rapport à sa vie

paffée. L'Abbé luy parla de fes obligations avec cette fincerité genereufe dont on ufe fi peu avec les Grands; mais en même tems avec tout le refpect & tous les ménagemens dont on ne doit jamais fe difpenfer avec les perfonnes de ce rang. Le Prince profita de fes avis, & fa conduite devint auffi édifiante qu'elle l'avoit été peu jufques alors.

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A l'exemple du Prince, fa Cour chan de face; & ceux qui fe fouviennent encore aujourd'huy de ce qui fe paffa dans cette occafion, avoüent qu'on auroit de la peine à croire les grands biens que l'Abbé de Rancé fit dans cette Cour.

Les chofes étoient en cet état, & le Duc d'Orleans faifoit tous les jours de nouveaux progrès dans la pieté, lorfque les preffentimens qu'il avoit de fa mort fe trouverent veritables. Il tomba malade, de la maladie dont il mourut, L'Abbé de Rancé fut toûjours auprès de luy, il le foûtint par fon exemple, & il le fortifia par des exhortations vives & touchantes, dont il s'acquittoit mieux que perfonne. La maladie devenant tous les jours plus dangereufe, l'Abbé n'attendit pas à la derniere extremité pour le préparer à recevoir les

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derniers Sacremens; le Prince les re çut avec les fentimens de la pieté la plus édifiante.

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L'Abbé de Rancé étoit occupé de ces fonctions fi faintes, lorsque l'Evêque d'Orleans & le Pere de Mouchy arriverent. L'Evêque après avoir rendu fes devoirs au Prince s'en retourna dans fon Diocese. Le Pere de Mouchy demeura avec l'Abbé de Rancé & luy aida à preparer le Prince à une mort chretienne. Il mourut quelque tems après, avec de grands fentimens de nitence. Rare exemple de la mifericorde de Dieu, dont il ne faut jamais defefperer, parce qu'elle eft infinie; mais dont on ne doit jamais préfumer, parce qu'elle ne nous eft pas due. Le Duc d'Orleans n'eut pas plutôt rendu le dernier foupir, que fes Officiers l'abandonnerent; chacun fe faifit de ce qu'il crut luy convenir; l'Abbé de Rancé & le Pere de Mouchy demeurerent prefque feuls auprès du corps.

Un fpectacle fi touchant, la mort toûjours terrible, plus terrible encore à l'égard des Grands, tant de diftinctions déruites, tant de gran deurs anneanties, cet abandon, cette folitude, ce filence, le compte que ce Prince avoit à rendre

à Dieu, étoient des circonstances trop instructives, pour ne pas engager le Pere de Mouchy à infpirer à l'Abbé de Rancé cette converfion parfaite à laquelle il avoit toûjours eu deffein de le porter. D'ailleurs outre les circonftances dont on vient de parler, il y en avoit d'autres qui étoient capables de toucher l'Abbé d'autant plus vivement, qu'elles le regardoient de plus prés, & qu'elles l'attaquoient par l'endroit le plus fenfible. Il perdoit une Charge confiderable, qui luy ouvroit le chemin aux grandes Dignitez. Le Prince qui venoit de mourir connoiffoit tout fon merite, il l'aimoit, il étoit même de fa grandeur d'appuyer fes efperances. Dieu fe fert de tout, quand il veut gagner un cœur, tout fert à applanir fes voyes, tout entre dans l'execution de fes deffeins.

Le Pere de Mouchy étant donc perfuadé que le tems de l'affliction eft le tems où Dieu parle le plus efficacement, il prit celuy pendant lequel on embaumoit le corps du Prince, & s'adreffant à l'Abbé de Rancé, Hé bien (luy ditil) qu'eft devenu ce Prince fi grand, fi refpecté, & qui touchoit de fi près à la Couronne ? Dans ce moment où le temsi

finit, & où l'éternité commence, il n'y a plus pour luy de rang, de diftinction, de gloire, de plaifirs; tout a difparu, tout s'eft évanoui. Le voilà comme le refte des hommes, il eft devenu un objet d'horreur, ou plutôt il eft devant Dieu, devant ce Juge terrible qui ne fait diftinction de perfonne; il y eft. nud, feul, abandonné à luy-même: au moment que je parle Dieu a décidé de fon éternité, c'en eft fait, il eft heureux ou malheureux pour jamais,

Ces paroles qui partoient d'un cœur veritablement touché, penetrerent celuy de l'Abbé de Rancé. Il y a long-tems, (répondit-il ) que je me dis les mêmes chofes que vous venez de dire, ou plutôt que Dieu me les dit au fond de mon cœur. J'ay l'efprit convaincu du néant des chofes du monde, & j'y tiens encore par mille endroits, comme fi elles avoient quelque chofe de folide, & qui fût capable de me rendre heureux ; mais enfin je crains que Dieu ne fe laffe de me parler, & quel malheur pour moy fi cela arrivoit!

Le Pere de Mouchy appuya fur cette reflexion. Il luy fit voir que Dieu n'aime point ces cœurs partagez, qui ne font à luy qu'à demy ; que dans le ches

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