PREFACE

N publiant l'hiftoire d'un Saint, qui fut l'Apôtre de la France dans le treiziéme fiécle, & que les Prédicateurs doivent confidérer dans tous les tems comme leur modéle, nous fommes difpenfés d'exposer les raisons, qui ont fait entreprendre cet.

ouvrage.

Les vertus, dont faint Dominique a donné de fi grands exemples; & la vivacité du zéle, qu'il fit paroître pour conferver, ou pour rétablir la pureté de la Foi, dans plufieurs de nos Provinces, rendront fa mémoire toujours précieuse aux fidéles, qui ont quel.. que amour pour l'Eglife. Mais ceux qui fe glorifient d'être fes enfans, engagés par état à le fuivre comme leur guide, & à l'honorer comme leur Pere, n'ontils point un intérêt particulier de fe rappeller fouvent les exemples de fa vie? N'eft-il pas de leur devoir de

a

faire connoître aux autres, tout ce que l'esprit du Seigneur lui a fait exécuter, ou pour la défenfe de la Religion vivement attaquée par de puiffans ennemis ou pour le falut des ames, que l'ignorance, l'erreur, la corruption des mœurs entrainoient malheureufement à leur perte ? Les belles actions de cet ami de Dieu, mifes dans leur jour naturel, feront pour tous les Chrétiens une odeur de vie, qui fervira à les faire avancer dans la connci fance, ou dans la pratique de la folide piété. Et les graces fignalées, dont ses travaux ont été couronnés, exciteront peut-être dans le cœur des plus tiédes, quelques nouveaux defirs de préférer à sa servitude du monde, ou des passions, le fervice d'un Maître toujours admirable dans fes Saints, & magnifique dans fes récompenfes.

Tels font les motifs, qui nous ont engagés à une entreprise, dont nous fentions d'ailleurs toutes les difficultés. Le plan, que nous nous fommes fait de ne rien avancer fans preuve ; de ne rien donner aux préjugés, ni à des traditions incertaines; mais d'examiner tout avec attention; d'éclaircir ce qu'il y avoit de douteux, ou de contesté; &, en donnant à chaque chofe le dégré de certitude, qui lui convient, de pafser fous filence ce qui ne paroîtroit pas solidement appuyé : ce plan ne pouvoit que multiplier les difficultés, & rendre nôtre étude beaucoup plus pénible. Mais nous avons cru qu'il failloit écrire de la forte, ou ne point écrire. La maniere favorable, dont le public a reçu le premier ouvrage, que nous lui avons présenté, ne nous a point éblouis; & nous aurions vû volontiers celui-ci entre les mains de quelque

Ecrivain plus habile; fi les mêmes motifs, qui nous le font entreprendre, avoient pû engager à ce travail, ceux qui ont plus de lumiéres, & plus de talens pour y réussir.

J

Si le succès répond à nos defirs, toute la gloire en fera dûë à celui qui, après nous en avoir inspiré le dessein, a bien voulu nous mettre par fa grace, en état de le remplir. Que fi nous demeurons au dessous de l'entreprise, nous pourrons du moins nous rendre ce témoignage, que nous n'avons rien omis, pour parvenir à la connoissance de la vérité, par une exacte difcuffion des faits, & par le choix des Auteurs qui les rapportent.

Outre les Ecrivains Ecclefiaftiques, qui ont fouvent parlé des actions, des vertus, & des miracles de faint Dominique de Guzman; on a particuliérement examiné les écrits de ceux, qui fe font appliqués avec le plus de foin à recueillir tout ce qui appartient au sujet que nous traitons. Et parmi ceux-ci nous avons préféré les plus anciens, dont on connoît la vertu, la capacité, l'exactitude; & qui, pour avoir vécu avec le ferviteur de Dieu, ou avec les premiers Compa gnons de fes travaux, devoient être plus exactement inftruits de tout ce qui le regardoit. Tels font Thierri d'Apolde, Conftantin Evêque d'Orviete, Barthelemy de Trente, le fçavant Nicolas Trivet, & le R. Pere Humbert, l'un des Succeffeurs du faint Patriarche. Ces cinq Auteurs, fouvent cités par ceux qui nous ont depuis donné l'Hiftoire de l'Eglife, ou les Actes des Saints, écrivoient tous dans le treiziéme fiécle.

Bzovi.
Sponde.
Fleuri.

Bolland.

&

Mais nous nous fommes fur-tout fervis de la petite Chronique du B. Jourdain de Saxe. Il nous a laissé une rélation fuccinte des commencemens de l'Ordre des Hiff. Eccl. l. 80.. FF. Prêcheurs : & cet écrit, felon l'expreffion de M. Fleuri, eft ce que nous avons de plus original touchant S. Dominique, ses premiers Disciples. La fageffe, & les talens de cet homme illuftre doivent prévenir en fa faveur. Se propofant d'écrire l'Hiftoire de fon B. Patriarche, il n'avoit pas moins d'intérêt, que de facilité, à s'inftruire de tout ce qu'il vouloit tranfmettre à la poftérité. En Franee, & en Italieil avoit converfé fort familierement avec le Saint. Après avoir été d'abord fon auditeur, & fon pénitent, puis fon Disciple, & fon homme de confiance, devenu enfin fon premier Succeffeur dans le gouvernement de tout l'Ordre, il fit faire la premiere Tranflation de fes Reliques, & lui procura l'honneur de la Canonifation. Non-feulement il vivoit avec des perfonnes, qui avoient converfé plus long-tems que lui, avec faint Dominique; mais dans la vifite des maisons de l'Ordre, il s'est plus d'une fois trouvé dans les lieux où nôtre Saint avoit fait quelque fejour : & en écrivant fa vie, il avoit fous les yeux les dépofitions des Témoins oculaires, qui venoient d'être en tendus par les Commiffaires-Apoftoliques. Ces témoins pouvoient encore lui fournir tous les éclairciffemens, dont il avoit befoin. Ce n'est donc pas fans raifon, que les Auteurs François, Italiens, Flamans, ou Efpagnols fe font toûjours fait un plaifir de s'en rapporter à fon témoignage : nous. en. faifons de

même.

Pour éclaircir certains points, qui ne fe trouvent

Par le R. Pere Bremond, Docteur

Général.

pas dans la Chronique très-abregée du B. Jourdain, & qui ont été depuis peu contestés, nous avons été heureusement aidés par le zéle de quelques perfonnes habiles, qui ont bien voulu nous fournir d'excellens Mémoires. On a travaillé pour nous en Espagne, & en Italie. Les Manufcrits très-autentiques, qui nous ont été envoyés de Rome, ferviront à prouver avec la derniere évidence, que rien ne pouvoit être moins de Cafanate, af fondé, que le doute, qu'on avoit voulu faire naître fiant du Rme Pere de nos jours, touchant l'illustre naissance de faint Dominique. J’ose bien me promettre que ce ne sera plus une matiere de contestation. Et puifque la charité ne permet point de penfer, que des Ecrivains fages & religieux. veuillent difputer par le feul plaifir de difputer, j'ajoûte qu'on ne l'auroit peut-être jamais fait fur cet article, fi les Editeurs des Actes des Saints avoient feulement vû une partie de ce qu'on trouvera dans la fuite de cette Hiftoire..

On a effayé de l'écrire d'une maniere, qui puisse être utile & agréable à ceux qui la liront. En évitant les réfléxions, qui pourroient paroître trop longues, ou trop fréquentes, nous avons fupprimé les differtations qui n'étant pas abfolument néceffaires, auroient rompu le fil de la narration. Il en eft cependant qui naiffent heureusement du fujet ; & qui peuvent faire plaifir au Lecteur curieux: on a cru qu'il ne convenoit point de les fupprimer entiérement.

Nous pafferons fous filence les faits incertains, ou peu importans, & tous ceux que nous ne trouverons appuyés, que fur une fimple tradition, dont on ignore Forigine & le fondement. Nous ne penfons pas que