Imágenes de páginas
PDF
EPUB

géant. Le bruit éclatant de fes fuccès vient frapper fon oreille: il s'émeut & fans confulter fes forces, redefcend fur l'arêne, pour combattre ce nouveau rival. Fatigué du poids des affaires, livré depuis long-temps à lui-même & au repos, affoibli déja par l'âge, il remonte dans la Tribune, & reparoît au Barreau. C'eft bien à la vérité le même Orateur, accoutumé quelques années auparavant à les faire retentir de nombreux applaudiffemens; mais c'eft vainement qu'il veut rallumer le feu de fon génie; il a perdu l'habitude du travail. Ce n'eft plus cette heureuse fécondité, cette richeffe d'expreffions, qui lui étoient fi familières autrefois : ce n'eft plus cette abondance de penfées fines & ingénieuses, qui avoient dans fa jeuneffe, charmé fes Auditeurs; fon éloquence, quoique toujours enjouée & légère, ne convenoit plus à fon âge. Son talent s'affoibliffoit de jour en jour, femblable à ces Tableaux an

tiques dont le coloris s'éteint (1) peu à peu, mais dont la dégradation infenfible échappe aux yeux du vulgaire, & ne frappe que l'habile & profond connoiffeur. Cependant jaloux de conferver la palme qu'il avoit obtenue, il n'hésita pas de fe méfurer avec Cicéron, dont il rendit le triomphe plus éclatant. Bientôt une eftime mutuelle & durable, unit ces illuftres rivaux, & cette union, qui devroit fervir d'exemple aux talens, devint favorable à l'art.

On ignoroit avant Cicéron le fecret de rendre l'éloquence parfaite, & c'étoit à ce grand Homme à le révéler. Émule de l'immortel Orateur d'Athènes, le feul modèle des Orateurs, il enrichit l'art de la parole, en y joignant une étude particulière des Belles-Lettres, & une étude profonde de la Philofophie. Il

(1) Primus, & fecundus annus, & tertius tantum quafi de picturæ veteris colore detraxerat, quantum non quivis unus ex populo, fed exiftimator doctus, & intelligens poffet cognofcere. Id. Ibid. no 93.

fentit de bonne heure combien la fcience

du Droit Civil, à laquelle il s'étoit foigneufement appliqué, étoit néceffaire, pour défendre & bien discuter une cause: il mit à profit fes vaftes connoiffances dans l'Histoire qui fournit au besoin à l'Orateur, une multitude de faits à l'appui de ceux qu'il avance, & une foule de témoins ou d'arbitres qu'il peut interroger du fond de leurs tombeaux. On fe contentoit avant lui d'attaquer, de combattre, de preffer, fon adverfaire

par la force ou la fubtilité du raifonnement; mais aucun Orateur n'avoit encore eu l'adreffe d'égayer l'austérité des Juges, & de dérider leur front févère, par des railleries fines & délicates; aucun n'avoit connu l'art de généralifer une cause particulière & du moment, & de la rendre également intéreffante pour tous les temps, & pour

tout le monde. Il avoit encore le talent unique, de délaffer, par des digreffions agréables (& fans trop s'écarter de fon

fujet) l'attention de fes Auditeurs : en un mot, perfonne n'avoit connu jusqu'à lui, le talent propre à l'Orateur, le grand art de captiver les efprits, & d'exciter à fon gré la colère, l'indignation, les larmes & la pitié des Juges (1). C'eft par ce fonds immenfe de richeffes que Cicéron s'eft affuré l'empire de

(1) Nihil de me dicam, dicam de cæteris, quorum nemo erat, qui videretur exquifitiùs, quàm vulgus hominum, ftuduiffe literis, quibus fons perfecta cloquentiæ continetur : nemo, qui philofophiam complexus effet, matrem omnium bene fa&torum, benèque di&torum: nemo, qui jus civile didiciffet, rem ad privatas caufas, & ad oratoris prudentiam maximè necessariam : nemo, qui memoriam rerum Romanarum teneret, ex quâ, fi quando opus effet, ab inferis locupletiffimos teftes excitaret: nemo, qui breviter, argutèque, inclufo adverfario, laxaret judicum animos, aique à feveritate paulifper ad hilaritatem, rifumque traduceret: nemo qui dilatare poffet, atque à propria ac definita difputatione hominis, ac temporis, ad communem quæftionem univerfi generis orationem traduceret: nemo, qui delectandi gratiâ digredi parumper à causa: nemo, qui ad iracundiam magnopere judicem: nemo, qui ad filetum poffet adducere: nemo, qui animum ejus (quod unum eft Oratoris maximè proprium) quocunque res poftularet, impelleret. CIC. de Clar, Orat. n° 93.

l'Eloquence Latine. Son génie, avide de favoir, avoit embraffé, dès fa jeuneffe, l'étude de toutes les Sciences qui pouvoient contribuer à perfectionner fon talent; & l'on remarque aisément dans fes harangues & dans fes plaidoyers, l'ufage heureux qu'il en a fait. Par-tout on y voit briller la force & la véhémence de Démosthène (1), la merveilleufe fécondité de Platon, la douceur & les grâces d'Ifocrate: il s'étoit formé fur ces grands modèles, & paroît n'avoir point eu d'autres Maîtres. Oferonsnous le dire? Il leur eft fupérieur par les beautés naturelles dont il brille, & par la délicateffe & la riche abondance des pensées. Mais combien cet illuftre Orateur n'a-t-il pas ajouté à fa gloire par les admirables traités qu'il nous a laiffés? Que fa Philofophie eft douce &

(1) Nam mihi videtur M. Tullius cum fe totum ad imitationem Græcorum contuliffet, effinxiffe vim Demofthenis, copiam Platonis, jucunditatem Ifocratis QUINTIL. Inft. Orat. Lib. X, Cap. I, pag. 7;1.

« AnteriorContinuar »