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heureux d'avoir ofé, dans fon délire; interroger LA NATURE, que la Providence divine qu'il combattoit, rendit fourde à fa voix ! L'importance & la nouveauté du fujet, de grandes beautés de détail, un nombre de vers heureux, une touche dure, mais vigoureuse, un ftyle affez púr, une imagination élevée & féconde, en un mot la hardieffe du fyftême & la difficulté vaincue, ont, à la vérité, rendu l'ouvrage de Lucrèce célébre, mais n'ont pu le faire regarder comme un Poëme du grand genre. C'est un Traité philofophique revêtu des grâces de la Poéfie.

Si Rome n'avoit jamais eu que Lucrèce à oppofer aux Grecs, Homère reftoit fans rival, & la Grèce n'étoit qu'à demi-vaincue, puifqu'elle confervoit encore, fans partage, l'empire de la Poéfie. La liberté, l'ame & le foutien de l'éloquence, avoit appris aux Romains, moins frivoles que les Grecs, à cultiver de préférence l'art de la pa

role, fi utile & fi néceffaire à des Républicains. Ils fe glorifioient déja depuis long-temps de compter parmi eux beaucoup d'Orateurs parfaits, tandis que les grands Poëtes étoient encore à naître. Mais on remarquera avec étonnement, que ce fut au moment où la liberté étoit attaquée de toutes parts, où des troubles affreux agitoient l'Etat, où des flots de fang couloient où l'horreur des profcriptions étoit à fon comble; enfin, au milieu des cris des Citoyens expirans fous le fer des bourreaux, que la Muse Latine, infpirée par la reconnoiffance, fit entendre fes premiers accens, foutenus par les accords fimples & touchans de la flûte champêtre.

Tout gémiffoit fous le joug oppreffeur des ambitieux Triumvirs, quand Octave, après avoir entièrement défait l'armée de Brutus & de Caffius, de retour à Rome, pour la distribution des terres promises aux foldats vétérans, leur abandonna celles du Mantouan.

Un habitant des environs de Mantoue, chaffé, comme tant d'autres, de l'héritage de fes pères, a feul le bonheur d'obtenir, du Triumvir même, la restitution de fon patrimoine. Dès qu'il y eft rentré, il fait retentir fes bois & fes vergers des accens de fa reconnoiffance. Le tyran difparoît à fes yeux; il ne voit plus, dans Octave, qu'un DIEU bienfaifant, auteur de fon repos & de fon bonheur (1).

C'est par ces vers enchanteurs & par ces louanges flatteufes, que Virgile fe fit connoître à la Cour. Il y trouva des Protecteurs puiffans, & ce qui est bien plus rare, des Protecteurs éclairés, inftruits, bons juges du vrai mérite & des talens. Sa Mufe y conferva toujours fon air modeste & fa fublime fimplicité. Elle continua de chanter les amusemens des bergers, & les travaux de la campagne. Jamais la Poéfie n'employa de cou

(1) O Meliboe. Deus nobis hæc otia fecit. VIRG. Eclo. 1.

leurs plus naturelles & plus féduifantes, que celles dont brille le tableau que ce Poëte fait des plaifirs de la vie champêtre (1): jamais le génie n'imagina un plus beau Temple (2) que celui qu'il élève à Céfar. Que fon pinceau eft admirable dans la defcription de la peste des animaux (3)! Qu'il eft intéreffant, qu'il eft tendre, dans la fable charmante d'Ariftée (4)! Ces morceaux de la plus haute Poéfie, répandus dans les Géorgiques, n'étoient que le prélude des chants divins, qui devoient bientôt immortalifer & Céfar & Virgile.

Le gain de la bataille d'Actium décida enfin du fort de Rome, & la mort d'Antoine laiffa Octave l'arbitre fouverain de l'Empire. Au comble de fes vœux, fans concurrens & fans rivaux, le Sénat à fes pieds lui offrant la couronne, il

(1) Georg. Lib. II, vers 458.
(2) Idem. Lib. III, vers 13.
(3) Georg. Lib. III, vers 478.
(4) Idem. Lib. IV, vers 317.

lui étoit aifé de montrer de la modération, & d'affecter de la clémence. Le fang ceffa de couler, des jours fereins & paifibles fuccédèrent aux jours affreux qui avoient éclairé les, cruautés des profcriptions, & le nom d'AUGUSTE & de PÈRE DE LA PATRIE, fut prodigué à celui qui naguères en étoit le tyran. Le temple de Janus étoit fermé; la paix & l'abondance régnoient dans tout l'Empire: chaque jour de nouveaux jeux & de nouveaux fpectacles fembloient ramener l'Age d'or, & le fiécle fortuné de Saturne & de Rhée. AUGUSTE au milieu de la Cour la plus brillante & la plus fpirituelle, entouré de Mécène, de Pollion, de Varius, de Tucca, de Tibulle, d'Ovide, de Gallus, de Virgile & d'Horace, entendoit, recevoit les vœux d'un peuple fatisfait de l'avoir pour Maître, & refpiroit l'encens des Mufes qui lui élevoient des autels, & le plaçoient de fon vivant au rang des Dieux.

Cette espèce d'ivreffe, dans laquelle

la

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