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égare & déplaît fi elle n'eft accompagnée d'un jugement fain & d'un goût exquis. Virgile ne s'amufe point à peindre fes héros; il les anime, ils parlent, ils agiffent: ennemi de l'antithèse ( figure favorite du Bel-Efprit, fi fatigante & fi puérile quand on en abuse), il charme, il brille, il éclaire, & n'éblouit pas : fon ftyle est toujours foutenu, toujours éloquent fes vers font pleins de grâces & d'harmonie ; & chez lui les fons foibles & doucereux de la flûte ne fe mêlent jamais aux tons mâles & fiers de la trompette. A la manière dont il a profité de l'Iliade & de l'Odyffée, on voit, pour m'exprimer comme un Critique (1) de nos jours, que ces deux Poëmes n'ont été pour lui qu'une espèce de mine, d'où il a tiré des diamans auxquels il a fu donner de la vivacité & de l'éclat. Quiconque imite ainfi, eft créateur: le miel, pour être composé

(1) L'Abbé des Fontaines. Voyez fon Difcours fur P’Énéïde, pag. 45.

du fuc de toutes les fleurs, n'en eft pas moins l'ouvrage de l'abeille. Les Géor giques, le plus parfait des ouvrages de Virgile, font le feul Poëme où il peut paroître n'avoir pas eu de modèle, tant il a de fupériorité fur Héfiode. Il fe rapproche beaucoup plus de Théocrite dans l'Eglogue. Cependant fi l'on compare ces deux Poëtes, Virgile, en confervant toute la fimplicité de Théocrite, nous paroît avoir encore fur lui un grand avantage, par la douceur & le moëlleux de fon pinceau, par fes grâces naïves, par la délicateffe des fentimens, par la fraîcheur de fon coloris, par le charme & la vérité de fes tableaux. Jamais Poëte n'a réuni autant de connoiffances que Virgile. Il étoit à la fois Savant & Philofophe profond. Il avoit fenti de bonne heure, que le génie est peu de chofe, & que l'efprit n'eft rien, fans l'étude & fans la méditation des bons modèles précepte qu'on ne fauroit trop fouvent répéter à la jeuneffe,

fur-tout aujourd'hui qu'on s'efforce de la détourner des véritables fources de l'inftruction , parce que l'orgueilleufe ignorance des Novateurs de ce fiécle, les dédaigne fans les connoître.

Ce n'étoit pas affez pour la Muse latine, de la gloire immortelle qu'elle s'étoit acquise par l'Énéide. Après avoir tiré de la trompette les fons les plus fiers & les plus éclatans, elle voulut effayer de toucher la lyre de Pindare, & de pincer le luth d'Anacréon. Elle fe mit auffi-tôt à chanter les Dieux, les Héros & les Grâces. Sage & folâtre tourà-tour, tantôt elle embellit la raison & la fait aimer; tantôt elle fe livre aux joyeux délire de la table, ou nous peint les charmes de Glycère, les douceurs de la folitude, & les ombrages frais du délicieux féjour de Tivoli. Tels étoient les chants dont elle faifoit réfonner les rivages du Tibre, lorfqu'elle inspiroit Horace. Si ce Poëte n'eft pas auffi fublime que Pindare, du moins est-il de

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tous les Poëtes Lyriques, celui qui en approche le plus, & prefque le feul (1) digne d'être lu. Plein de naturel & de grâces, de fineffe & de goût, de délicateffe & de philofophie, fes accords font plus doux, plus tendres, plus variés, plus parfaits que ceux d'Anacréon. Il est le Poëte de tous les âges, de tous les états, de toutes les conditions: il ne dit que ce qu'il doit dire, & s'arrête où il doit s'arrêter: il faifit toujours le mot propre : heureux dans fes hardieffes, fertile en figures & en expreffions ingénieuses, il laiffe couler fa veine fans peine & fans travail : en un mot, il étoit né pour être le Législateur du Parnaffe, l'effroi du ridicule, & le fléau des mauvais Poëtes. Horace eft, après Virgile, le plus parfait des Poëtes Latins. Mais ce n'eft qu'en obfervant lui-même le

(1) At Lyricorum idem HORATIUS ferè folus legi dignus. Nam & infurgit aliquando, & plenus eft jucunditatis & gratiæ, & variis figuris & erbis feliciffimè audax. QUINTIL. Inft. Orat. Lib. X, Cap. I, pag. 748.

& 749.

précepte qu'il donnoit (1) aux Auteurs de fon temps, qu'il est parvenu à cette admirable perfection.

La Poéfie Latine dégénéra bientôt de cette perfection à laquelle Virgile & Horace l'avoient portée. Ovide, avec du génie, mais bel-efprit, abandonna le premier la nature, pour donner tout à l'Art. Prodigue d'ornemens, recherché dans fes pensées, qu'il énerve & qu'il affoiblit à force de revenir fans ceffe fur la même idée, négligé dans fon style, abufant de fa facilité, & plein d'une abondance fuperflue, ce Poëte n'eut que trop d'imitateurs, & gâta le goût de fon fiécle. Cependant il avoit fous les yeux d'excellens modèles; il pouvoit confulter, fur-tout, Callimaque & Tibulle: mais il préféra le frivole honneur de briller & d'éblouir, au folide avantage de plaire à la raifon, d'émouvoir & d'in

(1)

.. Vos exemplaria Græca

Nocturnâ verfate manu, verfate diurnâ. De Art. Poët• vers 268 & 269.

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