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téreffer. Il prouve, par fon exemple, que l'efprit, l'imagination la plus brillante, la richeffe des pensées, l'élégance & la pureté du langage, n'empêchent pas un ouvrage d'être froid, & ne réparent point le défaut de fentiment & de naturel.

Ainfi s'annonça le déclin des beaux jours de la Littérature Latine: en effet quoique le fiécle d'Augufte foit regardé, avec raifon, comme le plus favorable aux Lettres, il n'en eft pas moins vrai que dès les premières années du régne de ce Prince, leur décadence fe fit fentir. Une foule de détracteurs de la véritable éloquence, à la tête defquels fe trouvoit Pollion, s'étoient élevés contre Cicéron (1), qui n'étoit plus pour leur répondre. Le bel-efprit, le

(1) Poftea vero quam Triumvirali profcriptione confumptus eft, paffim qui oderant, qui invidebant, qui æmulabantur, adulatores etiam præfentis potentiæ, non refponfurum invaferunt. QUINTIL. Inft. Orat. Lib. XII, Cap. X, pag. 895.

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raffiniment, l'affectation triomphoient au Barreau & dans la Tribune, & entraînoient tous les applaudiffemens : funefte préfage de la révolution que l'amour de la nouveauté, l'oubli ou plutôt le mépris des vrais principes, devoit bientôt opérer ! Cette étrange révolution tient moins encore à l'inconftance, qu'à l'orgueil de l'Efprit humain. Un fiécle où l'efprit feul domine, eft ordinairement vain & frivole, avide de nouveautés, fécond en fyftêmes ruineux, entêté de projets mal conçus, jaloux & fier de fes frêles productions, vantant fans ceffe fes lumières, grand raifonneur, penfeur hardi, ridiculement enthoufiafte, & ardent à détruire, ce que tant de fiécles de génie, de goût, de raifon, de favoir & d'expérience, ont établi fur des principes invariables.

Au refte, on a dû remarquer, par ce que nous avons déja dit, quels ont été la marche & les progrès de la Littérature chez les Romains. Ils avoient, avant

tout, à polir leur langue, qui, malgré les efforts de leurs premiers Poëtes, fut long-temps dure & barbare. Ainfi la Poéfie n'influa prefqu'en rien fur fa perfection, puisqu'elle-même ne put s'affran chir de la groffièreté de fon fiècle. Les Orateurs ont eu feuls la gloire d'adoucir, d'épurer, d'ennoblir le langage, en forte que l'art de l'Éloquence & d'écrire en profe, devança de beaucoup l'art de la Poésie.

Chez les Grecs, au contraire, la Poéfie, dont le régne a été fi brillant & fi long, précéda tous les Arts; l'art d'écrire en profe, lui doit le jour, & l'Histoire eft le premier chef-d'œuvre, en ce genre, qui parut plufieurs fiécles avant qu'il fût queftion de l'Éloquence, dont les admirables refforts & les vrais principes ne furent parfaitement connus que de Démofthène. La raifon d'une marche fi différente, chez deux peuples également ingénieux & fpirituels, eft que les Grecs n'eurent de maîtres qu'eux-mêmes, que

leur langue étoit naturellement poétique, & qu'elle étoit dans fa plus grande perfection, lorsque Homère écrivit. La Poéfie, cultivée feule de préférence, après avoir parcouru d'un vol fublime plus de trois fiécles de gloire, répandit enfin fon heureufe & féconde influencé fur la Profe, abandonnée pendant ce long intervalle, au feul ufage du langage familier. Elle l'enrichit insensiblement, lui donna plus de hardieffe & de dignité, plus d'abondance & de force, plus de grâces & de douceur, plus d'élégance & de correction, & la rendit propre à traiter tous les fujets qui pouvoient lui appartenir, chacun dans le ftyle & de la manière qui lui convenoit.

La Poéfie Latine, dans fes commencemens obfcurs, étoit loin de jouir de cette précieuse prérogative, parce que fujette elle-même aux vices de fon temps, fa perfection dépendoit abfolument des progrès de la langue, qui ne fe forma que lentement, & à mesure que les

Romains, réduits d'abord à n'être qu'imitateurs, s'inftruifoient & acquéroient des connoiffances, en étudiant les Auteurs Grecs. Or telle eft la différence qu'on doit faire entre celui qui crée & celui qui ne peut qu'imiter. L'un, maître de fes pinceaux qu'il dirige à fon gré, trace, d'une main libre & sûre, les objets que lui représente fon imagination; il les anime du feu de fon génie, trouve fans peine le ton de la Nature; faifit fes nuances, tantôt fortes & vigoureuses, tantôt douces & fugitives; enfin achève fon tableau avec la même hardieffe qu'il l'avoit conçu. L'autre, au contraire, tenant fes crayons d'une main incertaine & timide, fuit fervilement les traits qu'il n'a pas tracés, cherche en vain à rendre des penfées qu'il n'a pas conçues, confond les nuances des couleurs, dont la fineffe & la légèreté échappent à fa vue, & n'offre, en finiffant fon ouvrage, qu'une imitation imparfaite & contrainte, fans coloris

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