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eût été capable de défigurer le ftyle de Tite-Live, tout le monde s'en feroit apperçu; & le judicieux Quintilien luimême ne l'auroit-il pas relevé dans l'éloge qu'il fait de cet Historien? Il fe contente de dire fimplement, à propos de la critique de Pollion, que pour lui, il ne fait aucune différence entre le langage des Provinces d'Italie, & celui dont on fe fert à Rome (1). Ainfi rapportons-nousen à cet excellent Juge, plus en état que perfonne de définir cette Patavinité, de la blâmer, ou de la regarder comme peu de chofe.

On a fait à Tite-Live d'autres reproches, en apparence mieux fondés, mais qui n'en font pas plus réels. On l'attaque d'abord fur l'ufage trop fréquent qu'il a fait des harangues directes; mais il s'en faut bien qu'elles foient un vice aux yeux du goût. Quelles beautés, au

(1) Quemadmodum Pollio deprehendit in Livio Patavinitatem: licet omnia Italica pro Romanis habeam. QUINTIL. Inft, Orat. Lib. I. Cap. V, pag. 51.

contraire, ne répandent-elles pas, quand elles ont, comme celles de Tite-Live, toutes les perfections de l'éloquence, & qu'elles font un des principaux ornemens de l'Hiftoire? Quand elles fervent à achever de faire connoître le caractère des perfonnages, après les avoir vus en action? Quand elles font fi naturelles, fi vraies qu'elles font illufion au Lecteur, qui croit voir & entendre le Général portant la parole aux Chefs ou aux Soldats? N'eft-ce pas en effet, un grand mérite de la part de l'Historien de fe faire oublier, & de ne montrer que fes perfonnages, afin que tout l'intérêt fe réuniffe fur eux? Les Hérodote, les Thucydide, les Xénophon, les Sallufte, & prefque tous les excellens Hiftoriens de l'Antiquité, ont fuivi cet ufage, fans que la critique jufqu'ici les en ait blâmés. D'ailleurs quels étoient les Généraux des armées Grecques & Romaines? Les hommes les plus éloquens de l'État, élevés

par ce talent aux premiers emplois de la République. N'étoit-ce pas au milieu du peuple affemblé, & dans le Sénat qu'on les choififfoit, qu'on les proclamoit? N'étoit-ce pas en defcendant de la Tribune, où un moment auparavant, ils venoient de défendre, par leur éloquence, les droits de la Patrie, qu'ils partoient, pour aller combattre fes ennemis & prendre le commandement des armées ? Où eft donc l'invraisemblance, accoutumés comme ils étoient à manier la parole, qu'ils l'aient, en effet fouvent employée dans les circonstances qui l'exigeoient? Où eft donc le tort de l'Historien, Grec ou Latin, de les faire parler, quand fa plume éloquente & pleine de feu, rend les difcours des Héros & des grands Capitaines, dont elle écrit l'histoire, non pas fans doute dans les mêmes termes; mais du moins de manière à conferver leur ton, leur efprit, & le genre connu d'éloquence

qui leur étoit propre,? Voilà pourtant ce qu'un Critique a ofé tout récemment (1) condamner, dans Tite-Live, comme un vice; tandis qu'à cet égard, toute

(1) Voyez la Critique peu honnête qu'un Anonyme a faite de l'ouvrage de M. l'Abbé de Mably, fur la manière d'écrire l'Hiftoire, fous le titre de Supplément d la manière d'écrire l'Hiftoire. Cette Critique, pleine de mauvais goût, & du plus mauvais ton, prouve que l'Anonyme connoît peu les Anciens; ou s'il les connoît, qu'il ne les a pas affez étudiés, pour former fon goût & fon jugement. Comment un homme d'efprit, un homme inftruit, & qui a autant d'usage du monde, que l'Anonyme en a montré dans plufieurs de fes ouvrages, s'eft-il laiffé emporter à l'efprit de fete & de parti, comme il l'avoue lui-même, au point d'oublier tous les égards personnels ? Comment traiteroit-il un Critique, qui lui diroit groffièrement, que fa prose, ses vers, fes drames font déteftables, & qui ne mettroit pas à cette dure vérité, le plus léger adoucissement & la plus légère politeffe? Un autre Anonyme, dans une lettre adreffée au Rédacteur du Mercure, & inférée dans le N° 31, page 210 de ce Journal du 24 Juillet 1784, lui a donné un exemple de modération & d'honnêteté, en relevant les erreurs du Supplément à la manière d'écrire l'Hiftoire, avec toute la fageffe, tout le favoir, toute la force de la raison, qu'une bonne Critique exige, fans bleffer le moins du monde l'Auteur de ce Supplément; mais de façon pourtant à lui donner des regrets de l'avoir mis au jour.

l'Antiquité a gardé le plus profond filence car on doit compter pour rien le fentiment ifolé de Trogue Pompée, qui, en qualité d'Hiftorien lui-même, a pu, par jaloufie, blâmer Tite-Live fur fes harangues, afin de diminuer le prix de fon hiftoire, univerfellement eftimée. Nous ignorerions même la Critique que Trogue Pompée en a faite, fi Justin fon abréviateur, n'avoit pas pris le foin de nous l'apprendre (1).

Les prodiges fans nombre, plus abfurdes les uns que les autres, dont TiteLive a chargé fon hiftoire, font l'objet d'une accufation bien plus grave contre lui; & quoiqu'il ait fait entendre affez clairement qu'il y croyoit peu, on ne les lui a pas néanmoins pardonnés, parce qu'il favorifoit par-là & entrete

(1) Quam orationem dignam duxi, cujus exemplum brevitati hujus operis infererem, quam obliquam Pompeius Trogus expofuit, quoniam in Livio, & in Salluftio reprehendit, quod conciones directas, pro fua oratione operi fuo inferendo, hiftoriæ modum excefferint, JUSTIN. Lib. XXXVIII, Cap. III.

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