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affuré de l'efprit dans lequel elle est écrite, pourroit-on penfer qu'il eût été capable d'abjurer fon état, pour blasphémer le Dieu qu'il avoit juré de faire adorer? Loin donc d'envifager fimplement alors cette Religion du côté de la politique, & d'en impofer par des prodiges menfongers, il l'auroit appuyée d'une foule de faits plus clairs que le jour, & fe feroit attaché à la faire regarder & refpecter, comme le plus ferme foutien des Trônes, & comme la force & le falut des Empires & des peuples qui les compofent.

Nous ne cherchons pointici, à excufer entièrement l'attention de Tite-Live, à configner dans fon hiftoire, tous les prodiges qu'il avoit trouvés dans les Fastes de la République & de l'Empire. S'il avoit eu à écrire pour un peuple moins fuperftitieux, & plus éclairé fur les Loix de la Nature peut-être en auroit-il retranché un grand nombre. Mais nous difons que le premier de

voir de l'Hiftorien eft d'être exact & fidèle. Si dans le cours de l'histoire qu'il écrit, il fe préfente quelques faits extraordinaires, quelque événement furnaturel, dont il foit obligé de rendre compte, foit parce qu'une tradition non interrompue les a confacrés, foit parce qu'ils n'ont point été conteftés dans les temps où ils font arrivés, ni depuis ; il doit alors les raconter, tels que la tradition les a tranfmis à la postérité. Manquent-ils à fes yeux de vraifemblance ou de vérité? Il peut y porter le flambeau de la critique, mais avec une fageffe & une retenue qui lui gagnent la confiance des gens de bonne foi, & qui éclaire les doutes des Savans & des gens inftruits. Il eft même de l'art de l'Historien, de laiffer à l'amour-propre du Lecteur, le plaifir secret de croire, que c'eft lui qui approfondit, qui difcute & qui juge au lieu qu'il le révolte, en voulant le fubjuguer. On doit, en effet, fe méfier de tout Hiftorien qui

prétend raisonner (1) l'Hiftoire, parce que, livré tout entier à fon propre fentiment, à fon opinion particulière, à fes préjugés, il ne fe fait pas un fcru

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(1) C'eft M. Gaillard qui a dit le premier dans la Préface de fon Hiftoire de Charlemagne (pag. 7) que 'Hiftoire devoit non-feulement être racontée, mais raifonnée.... Que l'Hiftorien ne doit point s'en rapporter la fagacité du Lecteur, qu'il doit le provoquer, qu'il doit Paider par des réflexions. J'en demande pardon à M. Gaillard; mais je fuis de l'avis de ceux qui lui ont répondu (pag. 8). Racontez nous les faits, & la fez-nous juger. Il faut en effet avoir un furieux fonds d'amour-propre, pour croire être une lumière fupérieure: pour penfer que fes réflexions fixeront celles du Lecteur le plus atienrif (pag. 9): pour s'imaginer enfin qu'il n'y a que foi feul capable de raifonner. J'avouerai que les formules de la Philofophie nouvelle, ont à la vérité changé toutes les idées reçues, en fait de Poéfie, d'Hiftoire, d'Éloquence & de Morale. Je fais que les Philofophes de nos jours disent : Jeune homme, prends & lis: J'ai vécu. Ce ton impératif en impofe : à qui? Je le demande à M. Gaillard? Id est vrai que cet Écrivain ne fe fert pas tout à fait de ce ton imposant : mais au fond on s'apper çoit qu'il veut être le tyran de fon Le&teur ; il veut qu'il ne voie que par fes yeux; qu'il n'ait d'autre efprit que le fien; qu'il ne penfe & ne raisonne que d'après lui. Mais fi l'Hiftorien raifonne gauchement, pefamment, longuement; s'il differte à perte de vue; s'l provoque l'affoupiffement; fi pour faire étalage d'érudition, il cite

pule d'altérer, de renverfer les faits, pour les faire cadrer avec fa façon de voir & de penfer.

à tout propos, & vers & profe; quel Lecteur pourra Supporter tant d'ennui? Eft-ce ainfi que les excellens Hiftoriens Grecs & Latins écrivoient l'Hiftoire? M. Gaillard le prétend & l'affirme ( pag. 7). Qu'il ouvre Quintilien (Lib. X, Cap. I) & qu'il life l'éloge que ce Restaurateur du bon goût fait d'Hérodote, de Thucydide, de Xénophon, de Sallufte, de Tie- Live & de Tacite; y trouvera-t-il un mot qui faffe foupçonner que ces grands Hiftoriens ont raifonné l'Hiftoire, à la manière & comme l'entend M. Gaillard? Il prétend encore (pag. 12) qu'il faut réfuter les mauvais jugemens de l'Hiftoire, & fi on lui objecte que cette réfutation (pag. 13) est plus d'un Avocat que d'un Historien ; que c'eft plaider plus qu'écrire 'Hiftoire il s'échauffe & s'écrie: Oui, oui, c'eft plaider LA CAUSE DE L'HUMANITÉ contre les Oppreffeurs & les Efclaves. Les Avocats de l'humanité doivent être bien occupés ; car ils ne voient par tout que des Tyrans, des Oppreffeurs & des Efclaves, comme Dom Quichotte ne voyoit dans des moulins-à-vent, que des Géans à combattre. Comment M. Gaillard avec autant d'efprit, d'érudition, de connoissances, de mémoire & de talent qu'il en montre dans tous fes écrits, peut-il plaider pour une chimère Car quels font ces Oppreffeurs, ces Efclaves? Où font-ils ? Sous quel ciel habitent-ils ? En vérité les Philofophes devroient bien s'expliquer plus clairement; mais ils n'ofent. Ils veulent qu'on les devine. Que leur répondre ? DAVUS UM, NON DIPUS.

Les bons Historiens de l'Antiquité, Grecs & Latins, ne connoiffoient point cette méthode, que le Bel-Efprit de nos jours s'efforce d'accréditer. Ils différoient entr'eux, il eft vrai, dans la manière d'écrire; mais ils se réunissoient tous en un point: la fidélité. Celui qui mérite à cet égard, après Tite-Live, la plus haute eftime, c'eft Tacite. Jamais Hiftorien n'a porté plus loin l'amour de la vérité, n'a mieux peint les hommes, n'a pénétré plus avant dans les replis du cœur, n'a parlé de la vertu avec plus de chaleur & de fentiment. Il laiffe dans l'ame du Lecteur, une impreffion vive & profonde, qui ne peut s'effacer fon ftyle eft ferré & concis: il dit moins, pour laiffer davantage à penfer. Ennemi des digreffions & des épisodes, il est tout entier à fon fujet, qu'il ne laiffe jamais perdre de vue, & il a mieux aimé imiter l'ingénieuse briéveté de Sallufte, que l'abondance de Tite-Live. Le plus beau, le

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