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Monarque n'avoient ni fon ame, ni fon génie. Foibles & languiffans fur le Trône, fans ceffe agités par des guerres inteftines, ils étoient toujours près de voir échapper le fcéptre de leurs mains. Or, ce n'est jamais dans les troubles & la confufion d'un État, que les Arts fleuriffent & profpèrent. Le bruit des armes effraie & fait fuir les Mufes, qui n'aiment & ne refpirent que la Paix. La Nation retomba dans la barbarie comme auparavant; & fes effets furent les mêmes que ceux dont nous avons déja fait le tableau. Pour comble de calamités., aux invafions des Barbares, qui avoient été fi funeftes aux Lettres, aux flots de fang que firent couler les Normands, aux incendies qu'ils allumèrent, fe joignit la férocité des Hongrois, qui ravagèrent la Lorraine, la Champagne & la Bourgogne. Ce n'étoit pas encore affez de ces fléaux : les Sarrazins, des extrémités de la Lombardie, vinrent, avec la rapidité de ces nuées chargées,

de la foudre & chaffées par les vents, fondre fur la France, où après avoir tout faccagé, ils mirent le feu aux Églifes, aux Monaftères & aux Bibliothèques. Que d'ouvrages précieux, que de richeffes littéraires furent alors dévorés par les flammes! Ce n'eft qu'en gémisfant que nous rappelons le fouvenir de ces horribles ravages !

Tant de fléaux réunis achevèrent la perte des Lettres. Le Latin commençoit à n'être plus la Langue vulgaire; la Romance avoit déja pris le deffus. On ne parloit, on n'écrivoit pius que le Roman, qui donna fon nom aux premiers fruits qu'il produifit. Une foule de Romanciers s'élevèrent, & entretinrent par leurs futiles productions, l'indolence l'inapplication & la pareffe des Grands & du Peuple. Ce nouveau genre d'écrire eut un fuccès prodigieux, & l'Histoire en fut infectée. Les Historiens voyant avec quelle avidité les Romans étoient reçus, ne se contentèrent pas de mêler

les fables les plus abfurdes avec la vé rité, ils composèrent des hiftoires entièrement fabuleufes. Triftes fruits de l'ignorance & de la barbarie, dont le germe préparé long-temps auparavant, n'attendoit que le moment d'éclore ! Et quels autres fruits pouvoit-on espérer d'efprits vuides & fans culture, incapables de difcerner le vrai du faux, de féparer le menfonge de la vérité, dont les idées brutes & groffières, flottant au gré d'une imagination folle & déréglée, ne pouvoient enfanter que des chimères dignes de leurs Lecteurs ? Car il eft aifé de remarquer, en général, que les gens peu inftruits (& il en eft un grand nombre de tout rang & de tout état) font ordinairement les gens les plus crédules & les plus avides de merveilleux. Ils reffemblent aux Enfans, qui, jufqu'à ce qu'ils aient pris une nourriture folide n'aiment que les contes, & ne fe plaifent qu'au pays des Fables. Nous mettons hardiment & fans

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craindre d'alarmer ou d'offenfer la vraie piété au nombre des premiers Romans qui parurent, cette multitude de Légendes & de Vies des Saints, où il est évident que la faine critique n'a point été confultée par ceux qui en étoient les Auteurs, faute de la connoître. Ces pieufes rêveries furent fuivies des Romans de Chevalerie & d'Amours, où fous des noms connus & fameux, on fait le récit des hauts faits incroyables de Héros imaginaires. Si quelques-uns de ces Romans femblent bleffer la pudeur par des aventures un peu trop libres, & par des expreffions un peu trop naïves c'est à la fimplicité de ces temps encore groffiers qu'il faut s'en prendre : mais ils ne refpirent pas, comme ceux qu'un fiécle qui fe dit auffi éclairé que le nôtre a vu naître, ces mœurs infâmes, cette licence effrénée, fi fatale à l'innocence qu'on a foin de rendre encore plus dangereufes & plus fenfibles, à l'aide d'un burin effronté. Prefque tous.

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les anciens Romans font écrits en vers La Poéfie chez toutes les Nations a précédé la Profe. Les grands événemens heureux ou malheureux, les Héros leurs belles actions, leurs conquêtes & leurs victoires, ont été de tout temps célébrés dans des chanfons composées fouvent par des Poëtes du peuple, & chantées publiquement par le peuple, comme c'est encore l'ufage aujourd'hui. Voilà proprement l'origine de notre Vaudeville.

Le goût des Romans se répandit done rapidement. Il réveilla les Provençaux, d'où font fortis les premiers (1) Troubadours. De Provence, il paffa bientôt

(1) Voyez à la fin du Voyage Littéraire de Provence, par M. Papon, Prêtre de l'Oratoire, fes cinq Lettres où il combat victorieusement l'opinion de M. le Grand fur les Troubadours, qui les a mis non-feulement audeffous des Trouvères; mais auxquels il a disputé la gloire d'avoir été les premiers Restaurateurs des Lettres, & ne les a regardés que comme les Copistes ferviles des Trouvères: tandis, qu'en effet, ce font les Troubadours, dont le génie s'eft réveillé le premier, & a répandu le goût de la Poésie & des Lettres.

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